4ème semaine de carême (Jr 11, 18-20 ; Ps 7, 2-3, 9bc-10, 11-12a.18b ; Jn 7, 40-53)
C’est avec beaucoup de bonheur et de goût que nous pouvons continuer ce chemin de carême, toujours un peu particulier. Mais le Seigneur est avec nous ! Le goût, la saveur de la Parole de Dieu doit vraiment nous gagner, nous pouvons le demander au Seigneur. Un des symptômes du coronavirus est que nous perdons le goût. Là aussi, il peut y avoir comme une petite parabole de ce virus qui peut atteindre notre vie quotidienne sans que nous ne nous en rendions compte. Et ce qui peut faire des dégâts aussi, d’une certaine manière, c’est de perdre la Parole de Dieu. Ce qui est étonnant dans l’évangile que nous avons entendu, c’est que les soldats qui avaient reçu la mission d’arrêter Jésus, désobéissent à cet ordre qui leur est donné. Pourquoi ? Parce que « Jamais un homme n’a parlé de la sorte ». On peut être étonné que cette catégorie de personnes, à l’époque ou aujourd’hui encore, peuvent se laisser tellement touchés par la Parole de Dieu que ça va remettre en question une autorité qui n’est, du coup, pas légitime, parce qu’elle va contre leur conscience. L’écoute de cette Parole, la saveur que la Parole de Dieu donne à la vie fait que notre vie est radicalement transformée.
Par ailleurs, il y a dans l’évangile cette attitude, ce jugement des grands prêtres qui disent que parmi nous, qui avons l’autorité, l’intelligence, la compréhension des Écritures, aucun d’entre nous ne s’est laissé toucher. Aucun d’entre nous n’a adhéré de cœur ; c’est cela la foi, une adhésion du cœur et de l’intelligence à la personne de Jésus. Et finalement, chacun retourna chez soi. Probablement qu’en retournant chez eux, certains vont être touchés, vont continuer à méditer la Parole de Dieu ; et pour d’autres, ce sera simplement un épisode de leur vie. Comment nous laissons-nous toucher par la Parole de Dieu ? Comment la rencontre avec Jésus provoque-t-elle quelque chose en nous ? Il y a un principe très important : Jésus a arpenté notre terre il y a 2000 ans, il a semé les graines de la Parole de Dieu, il a formé les disciples pour qu’ils continuent à porter l’Evangile. Et il n’a pas choisi les meilleurs ! Il n’a pas choisi les douze apôtres parce que c’était l’élite, mais parce qu’il les a reçus du Père. Rappelez-vous, Jésus a appelé les Douze après une nuit en prière et il a reçu du Père ceux qui devaient être sa première ecclésia, sa première Eglise ; et parmi eux, il y avait Judas. Nous aussi, nous sommes tous choisis, pas parce que nous sommes les meilleurs, mais parce que Dieu nous aime. Il nous a choisis, et aujourd’hui encore, c’est un mystère, le mystère de sa présence, il continue de cheminer avec nous, il continue de venir à notre rencontre. Et ça depuis le livre de la Genèse, depuis que Dieu cherche Adam : « Adam, où es-tu ? ». Et comme nous l’avons vu dans cet évangile qui « inaugurait » ce temps de carême un peu particulier avec la Samaritaine, nous avons entendu Jésus dire « J’ai soif ! » et sur la croix il dit « J’ai soif ! »… Mais de qui, de quoi a-t-il soif ? C’est de moi qu’il a soif…
C’est important d’accueillir cette réalité présente que Jésus continue de venir à notre rencontre, comme il le faisait il y a 2000 ans. Sa Parole, sa personnalité est pleine de saveur, il n’y a aucun doute à avoir. « La foi n’est pas intéressante, la Parole de Dieu ne me touche pas, ne me nourrit pas ». Je peux regarder un film exceptionnel, comme hier avec les jeunes avec qui nous étions en réunion via la plateforme Zoom. On parlait de ce film qui raconte l’histoire de ce garçon qui va transformer la vie de sa commune (« Un monde meilleur » NDLR). On sent bien qu’un film, un livre, une rencontre, un paysage peut avoir pour nous de la saveur. Nous savons bien ce que c’est la saveur de quelque chose ou de quelqu’un. Et la Parole de Dieu est une nourriture bien au-delà de tout cela. Ce n’est pas de l’ordre du sensible, mais de la foi.
Hier, on partageait ensemble sur l’importance de l’orientation de notre vie. Aujourd’hui, la Parole de Dieu nous éclaire sur la foi, sur l’adhésion. Comme ces soldats qui se sont laissés toucher par la Parole de Dieu. Et pourtant, celui qui leur parlait n’était pas environné de gloire, de quelque chose qui pouvait attirer leur regard comme les néons, les panneaux publicitaires, tout ce qui est très alléchant dans notre vie aujourd’hui. C’était Jésus de Nazareth, dont la vie était vraiment imprégnée de ce qu’il annonçait. Hier, je vous disais pourquoi Jésus avait une telle autorité : parce qu’il est le Fils et qu’il vit de cette filiation. Et cette autorité là nous est donnée, à condition que la Parole de Dieu nous transforme. Et nous avons aujourd’hui à faire le choix de la foi, pas de la sensibilité. Des fois on dit que la prière ne sert à rien, ça n’a pas marché. Je me souviens d’une personne sur qui nous avions prié et qui disait que ça n’avait pas marché et avait essayé autre chose. Ce n’est pas de l’ordre du sensible, mais de l’ordre de la décision. Pourquoi ? C’est simple, parce que Dieu ne s’impose pas. Nous l’avons vu dans le récit des Pèlerins d’Emmaüs : Dieu ne s’impose pas, il se propose. Et quand j’ouvre mon cœur à cette rencontre avec le Seigneur, comme ça a été le cas avec la Samaritaine, quand je me laisse séduire, il y a vraiment une séduction dans la Parole de Dieu, elle est séduisante. Mais il faut que j’ouvre mon cœur. Souvent j’ai cité cette très belle catéchèse que le cardinal Ratzinger avait faite en l’an 2000 sur la nouvelle évangélisation (10 décembre 2000 – NDLR) dans laquelle il disait que le premier temps de la nouvelle évangélisation, c’est la conversion : « Le mot grec pour se convertir signifie: repenser – remettre en question son propre mode de vie et le mode de vie ordinaire; laisser entrer Dieu dans les critères de sa propre vie ; ne plus juger uniquement selon les opinions courantes. Se convertir signifie par conséquent : ne pas vivre comme tout le monde vit (Jésus ne dit pas « je vous demande de vivre comme tout le monde, mais de vivre comme moi ») , ne pas faire ce que tout le monde fait, ne pas se sentir justifié en accomplissant des actions douteuses, ambiguës ou mauvaises par le fait que les autres font de même (adhérer vraiment pleinement par notre intelligence, notre volonté, notre liberté, à la Parole de Dieu qui est le Christ)
Pour terminer, que nous puissions dire comme les soldats romains « Jamais homme n’a parlé de la sorte ». Ecoutons Madeleine Delbrêl qui parlait d’amateurisme : l’amateurisme dans la relation avec la Parole de Dieu est un véritable obstacle. Il s’agit, dans la Parole de Dieu « d’en prendre et d’en laisser » et de la garder à distance : des attitudes qui peuvent être évidentes dans notre vie ! Parfois, on prend un petit pain de la Parole de Dieu, on essaie de le faire dans la foi : et ce petit pain ne me parle pas, alors je vais en prendre un autre… Mais la Parole de Dieu, c’est la Parole pour moi aujourd’hui ! C’est Jésus qui vient à notre rencontre, comme pour les Pèlerins d’Emmaüs, qui vient révéler le sens de notre vie. C’est lui qui choisit la Parole qu’il veut me donner ! Je n’ai pas à en prendre et à en laisser : « Aujourd’hui ça ne m’intéresse pas, ça ne me touche pas ». La Parole de Dieu, c’est le pain quotidien ! La Parole de Dieu que je ne mange pas aujourd’hui, c’est le pain d’aujourd’hui que je ne mange pas. Demain, je mangerai du pain, mais le pain d’aujourd’hui, comment va-t-il me nourrir aujourd’hui ?
Notre vie peut être comparable aux dessins des enfants, ces dessins point à point. Plus les points sont rapprochés, plus quand on les relie, le dessin est clair, limpide. Mais si les points sont trop espacés ? Il ne faut pas s’étonner que les gens ont du mal à reconnaître Jésus quand il est avec nous. Les disciples prennent Jésus pour un fantôme, parce qu’ils ne le connaissent pas assez encore ! Ils ont besoin encore de se laisser travailler par l’Esprit Saint.
Ne pas prendre la Parole ou en laisser, ne pas se garder à distance d’elle. Jésus a franchi toutes les distances, tous les obstacles. Demandons à l’Esprit Saint ! Demandons à Jésus, comme Marie Noël : « Je n’ai pas envie de prier » et Jésus lui répond « Donne-moi ça, donne-moi tout ce qui en toi est insipidité, difficulté de goûter, ce symptôme du coronavirus qui empêche de goûter, qui fait perdre le goût, donne-le moi. Reconnais-le devant moi. Mais ne dis pas que c’est ma Parole qui n’a pas de saveur. » Reconnaissons nos maladies, reconnaissons nos handicaps, présentons-les au Seigneur et disons-lui : Seigneur, tu viens me guérir, tu viens me sauver.
Et nous pouvons ruminer la Parole de Dieu, même si au départ elle n’a pas de goût. Parfois, il faut réapprendre à manger quelque chose pour en retrouver le goût. Je me rappelle, quand j’ai commencé à avoir des problèmes digestifs, j’ai réappris à manger d’autres légumes et je les ai trouvé bons, je les trouve bons ! Alors la Parole de Dieu, il faut la ruminer. Aujourd’hui, avec Marie, je rumine la Parole de Dieu. Et je demande à Dieu, en la ruminant, de me guérir de cette maladie qui m’empêche de la goûter, d’en recevoir toute la saveur pour que, vraiment, elle me transforme. Amen