Ex 12, 1-8.11-14 ; Ps 115(116B), 1Co 11, 23-26 ; Jn 13, 1-15
Nous n’avons pas dans les textes que nous venons d’entendre le récit de l’institution de l’eucharistie. Et pourtant nous sommes le Jeudi Saint c’est cela que nous rappelons. Mais c’est dans un contexte qu’il faut comprendre. En particulier, c’est important de se souvenir que ces jours ci, à partir d’hier et d’aujourd’hui, les Juifs eux aussi célèbrent la Pâque. C’est la première lecture que nous avons eue. C’est la libération d’Egypte, la sortie d’Egypte. Voilà le premier sens.
Et Jésus vient accomplir cette libération de tout ce qu’il y avait de pénible que raconte la bible. C’était sûrement moins important que ce que c’est devenu dans la manière de raconter, car c’est devenu très identitaire pour le peuple Juif qui a trouvé sa vocation à travers cela. Libération de la servitude, de la servitude d’Egypte. Nous n’avons pas de trace de cela, ce doit être certainement des réalités minimes qui n’ont pas laissé de traces importantes. Ce n’est pas grave !
L’important, c’est la vision de Dieu qu’il y a derrière. Dieu appelle son peuple à se libérer, à changer de vie. Et ça sera la traversée du désert, nous savons ce que ça veut dire car d’une certaine manière c’est ce que nous vivons en ce moment dans notre confinement. Et souvent dans nos vies, c’est une dimension de ces choses là. Le Seigneur, même au désert, a donné une nourriture, la manne, ce pain qui descend du ciel et que Jésus va reprendre.
Jésus va dire “Le vrai pain du ciel, c’est moi. Qui mange ma chair et boit mon sang aura la vie éternelle.” Nous avons cela dans les évangiles, chez Saint Jean en particulier. Seulement, dans le texte de l’évangile d’aujourd’hui, il y a un complément renversant ! Quand Dieu vient, comme il est venu à Noël, qui vient pour se donner, comme il va le faire en donnant sa vie et sa personne à travers ce pain et ce vin de l’eucharistie, la croix et la résurrection, il vient pour servir les hommes. “Je ne suis pas venu pour être servi” dit Jésus “mais pour servir.” Et voilà que Jésus lave les pieds de ses disciples, alors que c’est une tâche de domestique, pour ne pas dire d’esclave dans le contexte de l’époque. Nous ne vivons pas ce genre de chose, nous ne vivons pas dans le pays de Jésus où il fait très chaud, les pieds dans la poussière. Mais nous comprenons ! Saint Pierre ne veut pas “Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais !” Nous avons cet enrichissement de la libération d’Egypte et du service des hommes : quand on aime, on sert et on se donne. Ce n’est pas l’amour dans n’importe quel sens ! En français, il y a beaucoup de mots qui sont utilisés : il faut rappeler le sens profond. Dieu est comme ça : notre vision chrétienne de Dieu est celle d’un Dieu modeste, humble mais vrai et qui se donne et est venu pour servir. Les bras nous en tombent, en tout cas, ceux de Saint Pierre c’est évident ! “Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant, mais plus tard, tu comprendras” lui dit Jésus qui le connaissait bien. Et il nous connaît bien.
N’empêche qu’il ne faudra pas trop tarder à ouvrir les yeux pour que ça rentre dans nos vies. C’est pourquoi, tout au long de ce chemin de notre vie, le Seigneur a inventé cette présence, dans ce pain, avec les bénédictions des Juifs que Jésus a reprises et que nous reprenons. J’apprécie beaucoup que la réforme de Vatican II pour l’offertoire ait pris des bénédictions qui n’existaient pas avant dans ce qu’on appelle aujourd’hui le rite extraordinaire. Des bénédictions que l’on reprend à chaque messe : “Tu es béni, Seigneur, Dieu de l’univers…” Ce sont des bénédictions, mais elles prennent un sens nouveau : il y a l’accomplissement que nous voyons dans la personne du Christ qui va reprendre les bénédictions sur le pain et sur le vin. Mais il s’agit de sa personne qui se donne, pour nourrir notre cœur profond. Et c’est cela l’Eucharistie qui nous dépasse complètement comme tous les sacrements d’ailleurs, présence de Dieu qui vient vers nous et qui nourrit notre vie et nous donne force, si nous voulons bien en vivre. C’est là où il faut que notre cœur soit assez pur, “Vous n’êtes pas tous purs” dit Jésus à ses apôtres. Pour pouvoir accueillir cette manne qui vient du ciel, cette nouvelle manne. “Vous m’appelez Maître et Sauveur et je le suis” mais je viens d’une manière que vous n’aviez pas prévue et que nous devons accueillir pour vivre de lui. C’est extraordinaire, il n’y a cela dans aucune autre religion, c’est même très choquant à vue humaine, mais c’est notre foi et notre espérance.
Puissions-nous, ensemble, mieux la mesurer pour pouvoir en vivre nous aussi, et en vivre comme lui, dans ce renversement total : “au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait.” On n’avait pas pensé à cela ! Ce n’est pas naturel, et c’est ça le véritable amour. Accueillons, dans la présence du Christ, l’Amour du Christ, l’Amour du Père qui vient déjà transfigurer notre vie.