Homélie du mardi 14 avril 2020 – Père Gilles Rousselet

14 Avr 2020 | Actualité, Homélies

Mardi de l’Octave de Pâques – Ac 2, 36-41 ; Ps 32(33), Jn 20, 11-18

En cette semaine d’Octave, nous méditons 2 aspects importants : le cheminement des disciples qui deviennent apôtres. Aucun d’entre eux, en dehors de Marie qui n’est pas une apôtre comme les autres mais la mère de tous les disciples et  de tous les apôtres, aucun d’entre eux n’a vraiment accompagné Jésus jusqu’au bout, je veux dire en demeurant dans la foi. Sûrement qu’il y avait pour beaucoup d’entre eux beaucoup de compassion, beaucoup d’amertume, comme par exemple de la part de Simon-Pierre qui avait renié le Christ, mais les autres n’étaient pas dans une meilleure position, à vrai dire !

 Il y ce cheminement des apôtres et, en même temps, il y a cette extraordinaire fécondité de la Parole de Dieu, dès qu’elle est accueillie dans un cœur. Non pas un cœur qui a fait preuve de fidélité, ça a d’ailleurs été un danger dans les premiers temps de l’Eglise où des personnes étaient restées fidèles et commençaient à juger celles qui ne l’étaient pas restées. Là vraiment, la Parole de Dieu porte des fruits extraordinaires, comme on le voit dans la première lecture : Simon-Pierre qui apostrophe, qui évangélise. Et il y a une propagation de cette bonne nouvelle, le récit nous dit que ce jour là, juste ce jour-là, environ 3000 personnes se joignirent à eux. 3000 personnes ce jour-là ! Hier, on se posait la question de savoir qui allait chercher à rester indemne de la joie pascale et qui allait se laisser contaminer ; dans les Actes des Apôtres, on voit qu’en un seul jour, 3000 personnes ! 3000 personnes et pourquoi ? Justement parce que Simon-Pierre a vraiment accueilli la Parole de Dieu.  À vrai dire, il a d’abord accueilli l’Esprit Saint qui l’a renouvelé complètement de l’intérieur et qui en a fait un canal de cette Bonne Nouvelle, un canal sans obstacle, parce qu’il n’y avait aucune prétention par rapport à soi-même mais l’expérience extraordinaire de la miséricorde de Dieu. Il faudra être très attentif, pendant tout ce temps, pour que grandisse en nous le désir de l’Esprit Saint « comme une biche altérée cherche l’eau vive », afin qu’ayant reçu l’Esprit Saint, il mette le feu partout. On l’a déjà reçu, n’attendons pas la Pentecôte pour témoigner de l’Evangile ! Il ne faut pas attendre, il faut commencer tout de suite ! Et en même temps, que nous soyons prêts à recevoir pleinement l’Esprit Saint.

L’autre aspect dont je voudrais parler ce matin, c’est le cheminement des apôtres. On l’avait déjà parcouru pendant le temps du Carême : voir comment Jésus a formé ses disciples pour en faire des témoins.

 Là, on voit d’autres aspects et s’il y a bien un domaine dans lequel Jésus, maintenant auprès du Père dans l’éternité (il l’a toujours été comme Verbe de Dieu, il a pré-existé) prend son temps, c’est bien celui de la conversion des cœurs. On va voir dans les récits de cette semaine comment cela se passe pour chacun. Ce qui est important, c’est qu’au terme chacun puisse se dire : je me reconnais dans tel disciple, tel apôtre. Car je crois que tous les exemples donnés nous permettent vraiment de nous identifier à l’un ou à l’autre.

C’est vrai que nous voudrions que ça aille très vite. Souvent, je reçois des messages de personnes qui disent qu’elles sont touchées par la liturgie, par la Parole de Dieu mais dès que je sors de ce contexte, de ce témoignage, de cette émission, je retombe dans mon quotidien et je vois que les choses ne vont pas changer. Et bien, c’est un fait ! Le cheminement en nous de la résurrection comme une réalité vitale ne peut pas ne pas prendre du temps. Et ce temps, c’est Dieu qui le prend. Essayons plutôt de cheminer à son rythme ! Pourquoi ? Parce qu’il nous connaît parfaitement ! Marie-Madeleine, juste avant a déjà fait un aller-retour au tombeau ; elle a été prévenir les apôtres. Et là, elle y est retournée une deuxième fois, elle n’est toujours pas convaincue !

L’autre aspect aussi à prendre en compte, c’est qu’elle est confrontée à ses émotions : il y a cette double peine que nous comprenons bien, et que nous devons reconnaître en nous aussi. N’ayons pas peur de nommer nos émotions, nos peurs, nos peines, nos angoisses, de les présenter au Seigneur : il est venu pour ça. L’important, c’est que nous ayons assez confiance pour le lui dire. Marie-Madeleine est confrontée à une double peine : d’abord la mort de Jésus, et là que son corps a disparu.  Comme le cheminement est lent en elle ! ça prend quelques versets des évangiles, mais ce cheminement est nécessaire.

Il y a les anges aussi qui interviennent : ils étaient tout de blanc vêtus. Je ne sais pas comment Marie-Madeleine les a vus, mais ça ne semble même pas l’étonner… Ils les interpellent et elle leur dit «  on a enlevé le corps du Seigneur ». Ça ne semble pas encore l’avoir touchée, avoir traversé la profondeur de sa peine, et c’est tout à son honneur ! Vraiment, elle a accompagné Jésus jusqu’au bout et sa peine est grande.

Et Jésus vient. Je suis très touché par cette manière que Jésus ressuscité a de se manifester à elle et à nous. Elle le prend pour le jardinier. Il y a peut être ici, de la part de Saint Jean, un clin d’œil pour la création ! Parce que ce jardin est aussi le jardin de la Genèse, de la première création. Et là, on est dans ce jardin de la re-création : Jésus est en train de recréer, de refaçonner cette pâte humaine pétrie de ses émotions, de ses doutes, de ses inquiétudes. Il est en train de la refaçonner comme le meilleur jardinier (il faudrait dire comme le meilleur potier…), en train de faire pousser en elle la graine de la foi qui va porter du fruit.

Et Jésus l’appelle par son prénom. Le pape Benoît XVI ou le pape François disait que la foi commence toujours par une rencontre personnelle avec le Christ. C’est une rencontre personnelle : je ne suis pas seulement un chrétien de plus, mais je suis un disciple, quelqu’un que Jésus appelle par son prénom. Il vient rencontrer Marie-Madeleine, il vient me rencontrer, il vient te rencontrer. Il t’appelle par ton prénom et tu es appelé à répondre. Il te connait parfaitement. Et plutôt que de te lamenter sur ton cheminement qui ne va pas assez vite, qui semble être tortueux, deux pas en avant, trois pas en arrière, entre dans la rencontre, dans l’initiative de Jésus qui prend l’initiative, qui t’appelle par ton prénom pour te faire sortir de la nuit du doute et pour te faire entrer dans la pleine lumière.

La foi commence véritablement par une rencontre personnelle avec Jésus. C’est moi qui suis appelé, pas seulement tous les chrétiens ! Jésus appelle tout le monde, mais il appelle chacun personnellement par son prénom. Je voudrais que chacun d’entre nous puisse dire : « Jésus m’appelle par mon prénom, il me connaît. » Vous savez que le prénom dans la bible, c’est la totalité de la personne.

Saint Jean a aussi un génie de mise en scène qui nous permet de comprendre comment cela se passe. Vous avez vu que la première fois que Marie-Madeleine voit Jésus, elle le prend pour le jardinier, un clin d’œil vers la création, mais aussi l’humilité de Jésus. À d’autre moment il va être pris pour un fantôme : là, il est pris pour un jardinier, d’autres fois il va être rejeté hors de la ville parce qu’il a guéri un lépreux… Saint Jean dit que Marie-Madeleine se tourne une première fois. Jésus l’appelle par son prénom et elle se tourne une deuxième fois vers lui.  Vous pouvez essayer (faites attention, ceux qui ont des cervicales un peu fragiles, de ne pas avoir un torticolis ou un tour de dos ou je ne sais pas quoi…) mais c’est techniquement impossible ! Je me retourne une première fois, je vois Jésus que je prends pour le jardinier. Jésus m’appelle par mon prénom et je me tourne une deuxième fois vers lui. Non, ce n’est pas une erreur de langage ! Saint Jean nous dit quelque chose de très important, c’est comme les poupées russes : il y a un double retournement.

Il y a plusieurs passages comme ça dans les récits de conversion où il y a deux étapes. Rappelez-vous l’officier romain qui demande la guérison de son fils : il part, parce qu’il croit à la parole de Jésus. Et en chemin, il apprend la guérison de son fils, alors il croit. Ce sont 2 étapes de ce processus.

C’est pareil pour Marie-Madeleine, et c’est pareil pour nous.

Au terme de ce double retournement, la mission peut vraiment commencer. Elle commence véritablement quand je fais une rencontre personnelle avec Jésus, de son initiative. Je peux faire moi-même tous les efforts, et c’est important que je cherche. Les anges disent à Marie-Madeleine : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » et Jésus lui demande : «  Qui cherches-tu ? » Il rencontre Marie-Madeleine parce qu’il rencontre en elle une quête qu’il va stimuler, élever et porter à son accomplissement. Mais il y a une quête…

Alors continuons de chercher, inlassablement, sans jamais nous décourager, nous laisser arrêter par nos doutes et nos hésitations, par nos amertumes. Continuons de chercher la source de la vraie lumière. Et nous dirons comme Saint Augustin « Je ne te chercherais pas si je ne t’avais pas déjà trouvé. » Il est là, vraiment dans cette quête. Et il viendra, au moment opportun, nous appeler par notre prénom : il faudra à ce moment-là que nos oreilles soient bien ouvertes, c’est-à-dire pas trop centrées sur nous mais plutôt sur la Parole de Dieu. Et alors, la mission pourra commencer et vous avez vu comment elle s’accomplit, dans la joie. C’est une des caractéristiques de la résurrection qui est accueillie et elle va dire aux apôtres ce que Jésus lui a dit. Ce n’est pas la peine de se demander comment je vais pouvoir dire les choses : il suffit de dire ce que Jésus a dit.

Dans les oïkos, les petits groupes de maison, ce que nous avons à partager, c’est ce que Jésus nous a offert. Soyons bien attentifs aux perles. Elles peuvent paraître insignifiantes par rapport à celles des autres. Je peux dire « Moi, j’ai reçu une grâce très spéciale !… » L’important est que chacun de nous accueille la grâce très spéciale, la perle, la Parole, le signe, le ressenti, la conviction intérieure que Jésus lui a offerte, et que nous la partagions. Ne la gardons pas pour nous même, car d’une certaine manière, elle serait comme un grain de blé dans un placard qui ne pourrait pas porter du fruit. Amen