Homélie du lundi 20 avril 2020 – Père Gilles Rousselet

20 Avr 2020 | Actualité, Homélies

2ème semaine du Temps Pascal année A – Ac 4, 23-31 ; Ps 2 ; Jn 3, 1-8

Il y a, à la fois dans la première lecture et dans le psaume, comme un aboutissement (et c’est assez paradoxal d’avoir un aboutissement dans le psaume) cette très belle prière, cette promesse de Dieu qu’il dit à son Fils, prophétie totalement accomplie en Jésus et à nous aussi, ses fils et filles. Et Dieu nous dit : “Tu es mon fils [ma fille] ; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré.” C’est une annonce, puisque cet engendrement, nous savons bien comment il s’est accompli en Jésus. Et nous savons, nous le pressentons au moins en théorie, que cet engendrement se fait par la vie baptismale. Le Père nous dit ainsi, par son Fils : “Demande, et je te donne en héritage les nations, pour domaine la terre tout entière.” Quelle magnifique relation est établie entre le Père et le Fils, dans le Fils, entre le Père et chacun de nous ! Nous sommes son fils bien-aimé, nous sommes son enfant, et nous sommes dans cette qualité de relation où tout ce que nous demandons et qui est conforme à la volonté de Dieu peut s’accomplir.

Et nous avons cette très belle prière dans les Actes des Apôtres avec Pierre et Jean. Ils ont été relâchés, ils vivent la persécution ; c’est aussi une caractéristique, qui ne doit pas nous effrayer, de la relation au Christ : notre témoignage dérange, parce qu’il y a vraiment une transformation radicale de toutes les perspectives. On peut dire que le Royaume de Dieu est un royaume qui marche la tête à l’envers. Et ça ne plaît pas à tout le monde. Il y en a qui essaient de le faire taire.

Et nous pouvons nous inspirer de cette belle prière de Pierre : “Maître, toi, tu as fait le ciel et la terre.” Nous tourner vers le Seigneur, c’est aussi ce que nous disons dans le Notre Père : “Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.”

Dans cette prière, il y a cette demande : “ Étends donc ta main pour que se produisent guérisons, signes et prodiges.” Je crois vraiment qu’hier nous avons été témoins, dans la prière de Bartimée, de nombreuses guérisons, de nombreuses libérations, de nombreuses conversions. Justement parce que nous nous appuyons sur la Parole de Dieu, sur la certitude qu’il est notre Père, notre créateur et qu’il n’accepte pas que sa création soit détruite par quoi que ce soit. Si nous lui demandons de renouveler cette création, il le fait, il continue de le faire : Jésus nous dit par ailleurs “Mon Père est toujours à l’oeuvre”.

Avant d’en arriver à ce terme, à cette vie nouvelle dans l’Esprit Saint, il faut voir comment cela se passe, comment nous en arrivons là.

Il y a le témoignage de Nicodème qui arrive de nuit ; c’est symptomatique ! Pourquoi arrive-t-il de nuit ? Le récit nous le dit et nous le supposons : en tant que rabbi lui aussi, si ses compères le voient aller rencontrer Jésus qu’ils critiquent tellement, alors il sera mis en accusation.

L’évangile nous dit aussi qu’on peut préférer la ténèbre à la lumière. C’est parfois engageant d’entrer dans la vérité de notre vie, d’être révélé pleinement tels que nous sommes, telle que la vie est. Et parfois, il y a peut être une part en nous qui préfère rester dans la ténèbre. Le problème est que la ténèbre engendre la ténèbre. S’il y a du mensonge dans ma vie, des choses que je veux cacher parce qu’elles me font honte, qu’elles me culpabilisent, alors, cette part de ténèbres en moi gagne du terrain. Je ne peux pas la cantonner dans un espace réduit, elle ne demande qu’à se répandre. Alors que la vérité nous rend libre…

Le baptême est une illumination, c’est une des caractéristiques de notre vie baptismale : elle produit en nous illumination, nous entrons dans la lumière. Nous voyons bien ce qu’est un être de lumière, un être lumineux. Et on voit bien aussi, et on s’en rend compte trop tard ou bien après, on peut voir la part de ténèbres qu’il y a en chaque personne ; il faut la livrer au Christ, qui est la lumière du monde.

Cette relation entre Nicodème et Jésus, elle ne commence pas très bien. La première chose donc, c’est qu’il vient la nuit parce qu’il préfère la nuit. La deuxième chose qui dénote un obstacle en lui, c’est qu’il dit “Nous savons”. “Nous savons” n’est pas la même chose que nous pensons, nous estimons, le fruit de notre expérience nous dit ça… En nous exprimant de cette manière là, nous restons ouverts à une transformation de notre savoir. Mais quand je commence à dire “Je sais”, et dans une prise de parole on sait bien que quand quelqu’un dit “Je sais”, ça ne laisse pas beaucoup de place à l’ouverture au mystère.

Après la réponse de Jésus, on voit bien que son savoir l’empêche d’accéder au mystère au dessus de tous les mystères. Jésus lui parle d’une nouvelle naissance, et Nicodème transforme cette parole en disant qu’il faut naître une nouvelle fois ? Evidemment avec cette petite pointe d’ironie : à l’âge qu’il a, il sait très bien qu’il ne peut pas retourner dans le sein de sa mère… Mais ce n’est pas du tout ce que Jésus a dit ! Jésus parle d’une nouvelle naissance, d’une naissance d’en-haut ; et ça, c’est vraiment la vie baptismale.

Bien sûr, quand je baptise des bébés, toujours j’invite à la bénédiction des parents qui ont donné la vie à un enfant. Et ça ne va pas toujours de soi, à vrai dire ! C’est un choix magnifique que de donner la vie à des enfants ! Mais je les bénis aussi d’avoir accompagné cet enfant pour qu’il reçoive la vie d’enfant de Dieu, et ça c’est une nouvelle naissance. Je vous ai déjà raconté cette histoire d’une jeune fille, quand j’étais aumônier du lycée Saint Martin qui avait écrit un message anonyme “Pourquoi je vis ?” Et la réponse que nous lui avions donnée était “Tu vis pour renaître à la vie éternelle. Tu as vécu cette première naissance pour pouvoir renaître à la vie éternelle.”  C’est une nouvelle naissance, la vie baptismale est une nouvelle naissance !

C’est vraiment une naissance de nouveau, et ça passe par la conversion nécessaire de Nicodème, c’est à dire renoncer à savoir, renoncer à être la maîtrise et la référence de toute chose. Se méfier de ce qui en nous est une espèce d’auto-affirmation de soi-même. Naître de nouveau, c’est la naissance donnée à notre baptême. Et par cette nouvelle naissance, entrer dans une dépendance radicale vis-à-vis de celui qui nous a donné la vie. Ça n’est pas simplement chercher à aménager notre vie en disant que je veux garder mes certitudes, garder les domaines de ma vie où je maitrîse par mon expérience et ma connaissance, et en même temps essayer de composer avec une manière radicalement nouvelle de vivre qui est celle de l’évangile. Vraiment pour naître à nouveau, il faut accepter de mourir. Nous savons bien que pour être définitivement ressuscité, il faudra mourir, comme nous avons tous à le vivre. Mais d’une certaine manière aussi pour entrer dans la vie nouvelle des enfants de Dieu il faut mourir à nous-mêmes, mourir à nos certitudes, à nos convictions, à nos manières de voir.

Pas pour devenir stupide, mais pour entrer dans cette extraordinaire manière de voir dont on a les témoignages en ce moment dans les Actes des Apôtres. Dans la première lecture que nous venons d’entendre, invoquer la vie, le vouloir, l’Esprit Saint, don fait aux croyants, aux nouveaux-nés. Et que ce don de l’Esprit Saint, Jésus le dit dans l’évangile : “ Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit.” Hier, on a entendu que Jésus soufflait sur les apôtres cette nouvelle Pentecôte, cet acte recréateur.

Demandons au Seigneur, aujourd’hui d’une manière particulière, de nous faire goûter cette vie nouvelle des enfants de Dieu, dont la loi est le sermon sur la montagne et notamment cette béatitude : “Heureux les pauvres de cœur...” Le pauvre de cœur est celui qui sait qu’il doit tout attendre de Dieu. Et sachant que nous attendons tout de Dieu, il nous donnera tout.

Amen