2ème semaine du Temps Pascal année A – Ac 5, 34-42 ; Ps 26(27) ; Jn 6, 1-15
Il est attesté, cet événement de la multiplication des pains (et manifestement il y a eu deux multiplications des pains) comme ce récit est raconté par les quatre évangélistes. Il y a là plusieurs particularités : Jean parle de signe, alors que dans les autres évangiles, la multiplication des pains est plutôt un miracle. Nous savons en tout cas qu’il y a une dimension eucharistique à cette multiplication des pains. Là, on peut essayer de relire le récit en saint Jean pour comprendre le sens véritable de cet événement, le plus important de ce que Jésus est venu faire au travers de ce signe et de tout ce qu’il a accompli. Et de plus en plus à mesure qu’il approche de Jérusalem, Jésus va consacrer la plus grande partie de son travail et de son œuvre à la formation de ses disciples.
C’est vrai qu’il y a beaucoup de choses qui concernent les foules. En particulier là, Jésus lève les yeux et voit cette foule qui a faim, cette foule qui le cherche parce qu’il a guéri des malades. Mais l’efficacité est assez relative, puisqu’à la fin il est obligé de partir seul, parce qu’il perçoit qu’ « ils allaient venir l’enlever pour faire de lui leur roi. » C’est la dimension messianique. Je ne sais pas comment on pourrait la traduire aujourd’hui ; mais au temps de Jésus, vous savez que dans l’évangile des Noces de Cana, Marie perçoit Jésus comme un messie temporel, qui va pouvoir résoudre ce problème d’absence de vin. Et en même temps, à travers le signe des Noces de Cana, parce qu’il s’agit bien d’un signe, Jésus va orienter le regard de Marie et de nous tous vers une autre réalité, vers l’heure de la gloire pendant laquelle il va réellement transformer le monde, puisque c’est cela qu’il est venu faire.
En attendant, Jésus va consacrer toute son énergie, toute sa force, toute sa détermination et c’est même pour ça qu’il agit, c’est son objectif prioritaire à la formation des disciples ; la formation de l’Église et jusqu’à nous, former l’Église pour qu’elle accomplisse vraiment ce qu’elle doit faire, c’est à dire poursuivre la mission du Christ. Là, il y a plusieurs aspects qui doivent attirer notre attention.
Le premier est cette mise à l’écart des apôtres. Vous avez entendu dans le début de l’évangile « Jésus gravit la montagne et là, il était assis avec ses disciples ». Un autre passage dit que ses disciples reviennent de mission, qu’ils sont très heureux de ce qui s’est passé. Et « Jésus les emmène à l’écart pour se reposer. » Déjà, il y a ce premier élément d’une mise à l’écart ; je crois que c’est une priorité. Jésus passe énormément de temps à l’écart ; et si le Fils de Dieu, le Verbe de Fieu a autant besoin de se mettre à l’écart pour prier son Père dans le secret de son cœur, combien plus nous qui sommes tellement éloignés de la volonté du Père, avons-nous besoin, avec lui, de nous mettre à l’écart !
La deuxième chose c’est une particularité chez Saint Jean : « Jésus lève les yeux ». Il est sur la montagne, et il lève les yeux. Je crois qu’il y a vraiment une invitation à suivre ce regard, et à mettre notre regard dans le regard du Christ. C’est-à-dire à sortir un peu de notre nombril, de notre regard un peu trop braqué sur nous-mêmes et de regarder le monde tel qu’il est. La première influence que Jésus a sur nous est de nous inviter à plonger son regard dans le sien, à regarder ce qu’il regarde et à regarder comme il regarde. Nous allons voir dans la suite du récit comment Jésus va transformer le regard.
Et c’est justement pour cela, là aussi c’est une particularité, que Jésus prend l’initiative .Et qui demande à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » Si vous regardez les autres récits de la multiplication des pains, ce sont les apôtres qui disent à Jésus de les renvoyer chez eux parce qu’il est tard et qu’on ne va rien trouver à manger…. Saint Jean précise bien «Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car il savait bien, lui, ce qu’il allait faire. ».Il met Philippe à l’épreuve, par lui ses apôtres et nous aussi aujourd’hui, car il sait ce qu’il va faire. C’est pour cela que nous avons besoin d’écouter Jésus, de nous mettre à l’écart, parce que alors même que nous nous posons la question sans attendre même nos réactions, en nous demandant ce que nous devons faire, si nous regardons Jésus, si nous l’écoutons, nous découvrons ce qu’il va faire. Des fois, nous agissons tellement vite sur notre propre initiative que nous ne laissons même pas le temps à Dieu, à Jésus de nous révéler ce qu’il va faire. Ce n’est pas ce qu’il veut, mais ce qu’il va faire ! De toute façon, il va l’accomplir et notre intérêt à nous c’est de nous brancher le plus vite possible sur ce que Jésus va faire, et d’accomplir ce miracle.
Si Jésus fait ça, c’est qu’il veut redresser nos attentes, il veut redresser notre détermination. On voit bien les réactions un peu humaines à cet événement. La première réaction est : de toute façon on est incapable de tout faire, donc on ne fait rien. La deuxième réaction, au travers d’André qui a 5 pains et 2 poissons, c’est qu’il y a quelque chose mais que ça ne suffit pas. Il peut y avoir le premier élan “oui, allons-y !“ Et on commence à réfléchir… ça arrive parfois dans certaines réunions : on discute, on discute, les uns et les autres un peu craintifs, se disant qu’il faut bien organiser les choses, n’allons pas trop vite…. J’aime ce qui est dans la règle des frères de Taizé : l’idéal, c’est quand même de prendre une décision. Concertée, mais une décision, sans penser qu’elle est définitive. Mais on peut avancer à partir du moment où on prend des décisions. C’est un peu comme la marche en avant : j’ai deux manières d’avancer : j’attends, je reste debout sur mes deux pieds, en attendant qu’un possible événement vienne me faire avancer… La deuxième solution est de dire “on avance”. Pas de manière précipitée, inconsciente, mais nous avançons… Et dans la mesure où nous avançons, c’est sûr que le Seigneur va nous conduire. C’est un autre aspect de la vie de l’Eglise : qu’elle ne soit pas de marbre, qu’elle ne soit pas figée, que nous ne soyons pas des “chrétiens canapé” comme dit le Pape François mais que nous avancions ensemble. Jésus veut vraiment orienter tout ce qu’il y a en nous de potentialité. Et nous interpeller, faire lever notre regard pour le plonger dans le sien, voir le monde et les événements comme il les voit. Et à partir de là, à partir de ce que nous pouvons offrir au Seigneur “5 pains et 2 poissons” c’est vraiment pas grand chose. Certains ont interprété ce miracle comme le miracle de la solidarité : j’ai dans mes poches du pain et des poissons (il faut quand même faire attention à ne pas avoir trop de poissons dans ses poches…) et au moment où quelqu’un commence à donner, je donne aussi. Mais je ne crois pas que ce soit suffisant d’interpréter ce signe de cette manière là. C’est beaucoup plus profond en fait. Ce que Jésus nous demande c’est de donner ce que nous avons, d’avoir cette capacité de repérer autour de nous. Pas seulement nous, mais autour de nous ! C’est un garçon qui a les 5 pains et les 2 poissons. Et un apôtre, un chrétien, un disciple-missionnaire est quelqu’un qui va être capable de repérer ce qu’il y a autour.
Dans la manière de célébrer la liturgie, depuis le confinement, nous repérons tous les talents, toutes les disponibilités, toutes les potentialités, ne passer à côté d’aucune d’entre elles… Et à partir de là, il faut vraiment laisser Jésus agir, et faire ce qu’il va faire de toute façon. Là, en l’occurrence, c’est la multiplication des pains.
L’autre aspect important que nous devons admettre, c’est la place centrale de l’eucharistie. Ce n’est pas seulement la multiplication des pains et des poissons. Vous avez vu d’ailleurs ce que dit Saint Jean : “il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils en voulaient.” Le poisson c’est le Christ “ichtus”. Du Christ, l’Église doit en donner autant que les gens en veulent. Ce n’est pas à nous de déterminer la limite. Il faut écouter les autres, écouter ceux qui ont faim et leur donner autant qu’ils ont faim : ce doit être cela notre disponibilité. Et l’eucharistie accomplit le grand miracle de la transformation du monde. C’est ça qui est central dans la formation que Jésus donne à ses disciples : c’est l’eucharistie. Vous vous rappelez ce que disait le Pape Benoît XVI aux jeunes des JMJ de Cologne : “Jésus veut nous faire rentrer dans l’heure où il transforme tout.” Et il s’agit bien de l’eucharistie. Et il dit aux jeunes “ Je sais bien que ça va être difficile pour vous de vous lever pour aller à la messe le dimanche matin. Mais allez-y ! Faites ce choix. Parce que si vous voulez vraiment que le monde soit transformé, d’abord il faut que Jésus transforme votre cœur par l’eucharistie.”
On ne pourra jamais dire que l’eucharistie est une option, qu’il y a d’autre option possible à côté de l’eucharistie. Si le monde tient, si le monde peut être transformé, c’est parce que partout dans le monde, en permanence, quelqu’un célèbre la messe. C’est comme ça que le monde tient, c’est comme ça que le projet de Dieu, c’est comme ça que Jésus fait ce qu’il veut faire, ce qu’il va faire, ce qu’il est en train de faire. À chaque fois que nous célébrons l’eucharistie ! Le miracle de la multiplication des pains et des poissons n’est pas un des miracles, mais il est véritablement un signe, et le signe principal c’est l’eucharisitie.
“Faites ceci en mémoire de moi”. Et à partir de là tout peut changer. A partir de là, Jésus fait ce qu’il veut faire.
Amen