3e semaine du Temps Pascal année A – Ac 6, 8-15 ; Ps 118 (119) ; Jn 6, 22-29
Mon attention est attirée sur ce verbe qui arrive deux fois sur ce passage et qui en même temps dit l’ambiance sur ce récit : “travailler”. Jésus dit “Travaillez non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusqu’à la vie éternelle” et cette question au cœur des disciples, de cette foule de disciples : “Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ?” C’est cette activité humaine un peu ralentie dans ce temps de confinement, qui dit un aspect de ce qui nous constitue fondamentalement.
Il y a un passage dans l’évangile où Jésus va guérir la main d’un homme : la main est le signe de l’activité humaine, de ce qu’il est capable de produire. Et c’est cette noblesse du travail humain que Dieu aime et bénit. Jésus a quand même passé 30 ans de sa vie à apprendre ce métier de charpentier comme son Père. Et si Jésus a fait ce choix, c’est vraiment pour sanctifier et bénir le travail de l’homme. C’est ça qui est pointé et regardé par Jésus et qu’il nous invite à regarder : ce travail, cette activité de la foule qui, ayant participé et bénéficié du miracle, du signe de la multiplication des pains et des poissons, se met en quête de Jésus. Et vraiment, ils vont se donner de la peine, ils vont se déplacer à la fois pour le chercher et pour parcourir l’espace qui les séparent de Jésus, puisqu’il a disparu à ce moment-là.
Il y a une indication qui est très importante. A vrai dire, un faisceau d’indications très importantes, toujours autour du signe accompli en Saint Jean de la multiplication des pains. Comme nous l’avons déjà dit, ce récit est raconté dans les 4 évangiles ; il semble qu’il y ait eu 2 multiplications des pains ce qui atteste le caractère historique de cet événement. Mais qui n’est pas simplement une multiplication de nourriture pour remplir le ventre de ceux qui ont faim, mais saint Jean dit bien que c’est un signe, c’est-à-dire une action qui doit orienter notre regard vers quelque chose de plus important. Et précisément sur l’identité de Jésus : qui est-il pour nous ? Là on sent bien le risque que Jésus apparaisse… Vous vous imaginez si lors de la prochaine prise de parole, le président ou le premier ministre dit : On va résoudre tous vos problèmes, le gouvernement va résoudre tous vos problèmes. Il y a toujours un peu cette idée, ce fantasme qu’une institution humaine puisse résoudre les problèmes. Or, là, nous voyons avec le coronavirus que nous sommes tous complètement désemparés : nous faisons ce que nous pouvons… Mais par ailleurs, grandit en un certain nombre d’entre nous et autour de nous ce désir de quelque chose de plus grand, quelque chose de solide.
Ce faisceau d’événements sur lequel je veux attirer votre attention :
D’abord, dès le début « Jésus avait rassasié cinq mille hommes et ses disciples l’avaient vu marcher sur la mer. » Quelle est la signification du rappel de cet événement et pourquoi Jean le rappelle ? Parce que marcher sur la mer, c’est marcher, dominer toutes les lois de la nature. La mer c’est la mort, une loi qui s’impose à nous. Mais Jésus est celui qui vient dominer cette loi de la nature et qui peut la suspendre. Evidemment, il la suspend et l’abolit de manière radicale par la résurrection. Mais aussi toute cette mort qui peut nous envahir par la peur, l’angoisse, l’inquiétude, le renfermement sur nous-mêmes qui fait mourir en nous ce que nous sommes fondamentalement.
Et puis il est question d’autres rives. Dans les évangiles, quand il y a déplacement d’une rive à l’autre, c’est toujours aller sur la rive de la foi. Et c’est toujours ce travail que pointe Jésus c’est cette volonté d’aller vers ce qui fait sens. C’est une première étape : Jésus l’encourage mais dit qu’elle n’est pas suffisante : « Vous me cherchez non pas parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés. » Il y a une première étape dans notre foi qui est le fruit de notre travail, même si, comme dit Saint Augustin « Je ne t’aurais pas trouvé si je ne t’avais pas cherché d’abord. » C’est vraiment l’initiative de Dieu qui est première : on l’a vu dans tous les récits : Jésus ressuscité prend l’initiative de venir à notre rencontre pour faire aboutir, accoucher, cette nouvelle vie à laquelle nous sommes appelés et que nous avons beaucoup méditée avec Nicodème. Une fois qu’il oriente le regard en disant « Ce travail-là est indispensable, il est bon, mais ne vous arrêtez pas là ». Comme il avait dit aussi à Marie-Madeleine : « Ne me retiens pas. Tu m’as trouvé, mais ne me retiens pas. Je ne suis pas encore monté vers mon Père. C’est-à-dire ce que je suis venu vous offrir n’est pas encore abouti pleinement, si vous me cherchez simplement parce que je vous ai donné à manger, parce que j’ai résolu certains de vos problèmes… »
Ou imaginez, quand nous vivons les temps de prière Bartimée, vous avez été guéris et ça vous suffit. Or, nous ne cessons de répéter que si Jésus nous guérit et nous libère, c’est d’abord et avant tout pour enlever tous les obstacles qui nous empêchent d’être et de vivre dans la bénédiction du Père. Ce que Jésus est venu accomplir, c’est de nous plonger dans la bénédiction du Père.
Et comme, quand pour les disciples d’Emmaüs il a éveillé leur désir, la foule pose cette question : « Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? » Il s’agit bien encore d’un travail, d’un engagement, d’une décision de notre part, Jésus répand cette lumière extraordinaire : « L’œuvre de Dieu », l’action de Dieu, la foi est une grâce, un miracle dans notre vie, mais qui suppose aussi notre engagement pour aller dans ce sens « C’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » Toute l’œuvre de Dieu, son travail, sa peine, sa passion, c’est que nous croyions en celui qu’il a envoyé. Ça ne peut pas se faire sans nous et vous voyez l’important encore une fois ça n’est pas que Jésus a fait ça ou ça pour nous. Et même s’il faut le remercier inlassablement pour tout ce qu’il a fait pour nous, la vérité est que nous sommes appelés à croire en Jésus, à aimer le Père parce qu’il est Père, parce qu’il est Dieu et parce qu’il est digne d’être aimé. Non pas l’aimer parce qu’il nous a donné ça mais l’aimer parce qu’il est digne d’être aimé. Et ça, c’est vraiment la foi, la foi aboutie, et c’est la vie des saints ! La vie des saints est cette œuvre du Père qui s’accomplit dans le cœur des personnes qui cheminent de cette manière-là, de conversion en conversion, pour que finalement nous puissions vraiment croire en Jésus. Parce qu’il est le Fils de Dieu, parce qu’il est lui, parce qu’il est digne d’être aimé, parce qu’il a tout fait pour nous, parce qu’il nous aime, parce qu’il nous plonge dans la bénédiction du Père et c’est vraiment ça l’itinéraire de notre vie.
Demandons à Jésus de nous conduire pas à pas, de conversion en conversion. N’ayons jamais cette certitude un peu aveugle que notre foi est aboutie et que nous n’avons pas besoin d’aller plus loin.
Amen.