Homélie du mardi 28 avril 2020 – Père Gilles Rousselet

28 Avr 2020 | Actualité, Homélies

3e  semaine du Temps Pascal année A – Ac 7, 51-8,1a ; Ps 30 (31) ; Jn 6, 30-35

Je viens de vivre une petite expérience pratique : le son auprès de l’ambon, la table de la Parole, deuxième meuble important de l’église avec la table de l’eucharistie, le son n’était pas bon et je n’ai pas vu que le micro était là, plus bas que d’habitude et je suis allé le chercher ailleurs. C’est un petit clin d’œil spirituel : parfois les réalités les plus importantes sont juste à côté de nous ; on ne les voit pas parce qu’elles sont cachées, ou pas visibles de la même manière, et on va les chercher ailleurs alors qu’elles sont là, sous notre regard. Je rends grâce à Dieu pour cette petite expérience qui, d’une certaine manière, rejoint l’enseignement de Jésus dans l’évangile.

Il y a la foule a qui assisté à la multiplication des pains et en a été bénéficiaire. Après que Jésus a marché sur l’eau, la grâce particulière réservée aux disciples, et on se rappelle la détermination de Jésus d’enseigner la foule, de manifester le Royaume de Dieu à toute cette foule sans une grande efficacité, et l’orientation de Jésus qui a toujours été la sienne de privilégier la formation de ses disciples.

Jésus était parti à l’écart car il craignait que la foule ne s’empare de lui pour en faire un roi. Et là, on voit l’autre caractéristique de cette foule qui demande un signe pour pouvoir croire. Et pourtant, ils viennent d’assister au miracle de la multiplication des pains ! Mais ça ne semble pas être suffisant… Quelle est la signification de cette demande ? Justement, de demander un signe qui serait une preuve. Quel est le risque ? C’est un risque majeur puisque Jésus dit : « L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé. » C’est l’œuvre, pas une parmi d’autres, mais l’œuvre majeure du Père et qui continue d’agir.

Je suis absolument certain que dans ce temps de confinement, l’œuvre du Père c’est que nous croyions en celui qu’il a envoyé, c’est-à-dire en son Fils Jésus. Je ne dis pas que Dieu a voulu l’épidémie ; ce qui est sûr, c’est que dans l’ordre de la volonté de Dieu, ça n’arrive pas sans une volonté d’acceptation. Pourquoi ? Parce que Dieu sait qu’il va tirer un bien inimaginable de cette situation. C’est pour ça que, d’une certaine manière, on peut dire qu’il y consent, parce qu’il y a cette certitude que le bien qui va nous être offert est bien plus important que ce qu’on pourrait imaginer.

Donc, ils demandent un signe qui serait une preuve… Et pourquoi ? Justement pour avoir une preuve qui dispenserait de croire. Parce que croire, c’est un engagement de la liberté, de la volonté. Ce n’est pas simplement croire que  Jésus est ressuscité. Mais croire en la résurrection qui est l’objet même de notre foi. Croire en la résurrection ! Pourquoi ? Parce que si je crois en la résurrection, selon toute logique, ça doit conformer ma vie, mes choix, mes orientations. Ça doit façonner ma liberté, recadrer tout ce qui est mon désir. Ce que Jésus leur répond, c’est ce que dit ce petit dicton : « Les idiots regardent le doigt, les sages regardent ce que le doigt désigne ». Jean-Baptiste montre l’Agneau de Dieu. Il y a le risque de s’arrêter à Jean-Baptiste, de ne regarder que le doigt qui montre l’Agneau de Dieu, sans aller jusqu’à ce que ce doigt montre, c’est-à-dire le Christ lui-même, l’Agneau de Dieu. À la fois le Christ, et l’Agneau de Dieu celui qui offre sa vie. La croix est le signe du sacrifice du Christ, de son amour qui n’a pas de limite. C’est aussi le signe d’une victoire remportée sur la mort.

C’est vrai qu’il y a des signes, sinon ils ne pourraient rien signifier. Mais notre regard doit être aiguisé pour ne pas s’arrêter aux signes, c’est-à-dire s’arrêter au fait que Jésus nous a donné à manger et qu’il pourrait continuer à le faire. Mais ce que signifie le signe de la multiplication des pains, c’est ce que Jésus dit : il est le pain de la vie, « Je suis le pain de la vie ». Et ce pain, ce n’est pas simplement une nourriture terrestre, mais c’est le Père qui donne le pain qui est la source de notre vie.

Et c’est comme tout : nous recevons de la nourriture et nous pouvons nous arrêter à la nourriture. Mais il y aurait une catastrophe, d’une certaine manière, à absolutiser la nourriture ou tout ce qui nous est donné, y compris d’ailleurs le plaisir que nous pouvons éprouver dans la vie, et donner à ce qui nous est donné une dimension d’éternité c’est-à-dire faire entrer dans notre cœur qui est ouvert, qui est en capacité de Dieu, remplir notre cœur de tout ce qui n’est pas absolu. Et qui ferait qu’il n’y aurait plus de place pour tout ce qui permet d’assouvir notre désir d’absolu lié au fait que nous sommes des créatures de Dieu.

J’espère que ce n’est pas trop compliqué ! Nous sommes faits pour Dieu et si, à la place de Dieu, je mets des choses qui passent ; si je donne à ce qui passe une dimension divine et une dimension d’éternité, cette place n’est pas celle de Dieu et je ne pourrais jamais être comblé.

Avec ce que Jésus dit et en nous appuyant sur la Parole de Dieu (c’est pour cela que c’est tellement important de nous nourrir de la Parole de Dieu),  l’occasion de ce confinement est un don qui nous est fait pour redécouvrir le sens de l’eucharistie et des sacrements. Nous en sommes privés d’une manière concrète : vous ne pouvez pas communier au corps du Christ, vous ne pouvez pas recevoir le sacrement de la réconciliation. Mais voyez, la grâce qui est là est d’ouvrir notre cœur à ce fait : redécouvrir que nous ne pouvons pas vivre sans. Il y aurait un risque dans cette situation : nous ne pouvons pas communier, nous ne pouvons pas aller à la messe, nous ne pouvons pas nous confesser, ce n’est pas de notre faute, ce qui est vrai ; mais au fond, on peut vraiment s’en passer ! Je me souviens de quelqu’un qui disait « Je me suis posé la question de Dieu, et Dieu n’est pas la réponse à la question du sens de ma vie. » Est-ce qu’il n’y a pas le risque, au terme de ce confinement, de se dire : Finalement oui, ça n’est pas de notre faute et on peut vraiment se passer de l’eucharistie. Or, je pense que ce manque de l’eucharistie et des sacrements et un don que Dieu nous fait, une sorte de jeûne, pour que nous puissions retrouver le désir, la faim véritable de l’eucharistie, le Pain de Vie.

C’est la très belle expérience de Charles de Foucault qui était un apôtre de l’eucharistie, qui avait un immense désir de l’eucharistie. Et du fait de la situation dans laquelle il était, il ne pouvait pas célébrer la messe, car en ce temps là on ne pouvait pas célébrer tout seul, il fallait des servants d’autel. Moi, ça m’arrive de célébrer la messe tout seul ; et je vous ai dit que ce temps de confinement faisait que je ne pourrai plus jamais célébrer la messe de la même manière parce que l’eucharistie est communautaire. C’est le Corps du Christ qui célèbre et nous avons besoin que ce corps du Christ soit reconstitué et constitué. Et constitué non pas de spectateurs que nous pourrions être, mais d’acteurs. C’est vraiment une immense grâce.

En cet instant, dans ce temps de silence qui nous est offert avant que nous entrions dans la liturgie eucharistique, que nous demandions au Seigneur de réveiller notre foi, notre désir, notre faim de cette rencontre particulière qu’il a voulu avoir avec nous dans les sacrements et en particulier dans le sacrement de l’eucharistie et le sacrement du pardon. Que le fruit de ce temps de confinement soit :  « Vraiment, Seigneur, tu es la source de ma vie et je viens à toi parce que tu te donnes à moi de cette manière-là. »

Amen