Homélie du jeudi 7 mai 2020 – Père Gilles Rousselet

9 Mai 2020 | Actualité, Homélies

4e semaine du Temps Pascal année A – Ac 13, 13-25 ; Ps 88(89) ; Jn 13, 16-20

Asseyez-vous tous. Comme disent les enfants (et les adultes aussi – NDLR) « Nous sommes déjà assis !» D’ailleurs Il y a des personnes qui ont témoigné que petit à petit, alors qu’elles étaient assises dans leur fauteuil ou sur leur chaise en regardant ce qui se passait à l’écran, elles étaient rentrées dans la dynamique liturgique en se « prenant au jeu » de la liturgie, en répondant et en réalisant que c’était tout à fait possible de participer pleinement à la liturgie. Je voudrais en particulier remercier tous ceux qui depuis le début du confinement lisent des lectures, chantent des psaumes. Là, vous avez reconnu Elisabeth qui a lu la première lecture, et Laurent qui a chanté le psaume ; ils l’ont chanté à plusieurs voix. Merci parce que c’est à la fois très beau et en même temps on est aussi en communion de cette manière-là. Bien sûr, nous aspirons tous à nous retrouver ensemble pour célébrer l’eucharistie.

Mais de manière mystérieuse, le Seigneur tisse entre nous des liens qui sont très forts, en particulier en nous appuyant sur la Parole de Dieu. Il y a 150 psaumes dans la bible, et vraiment le Seigneur nous donne les mots, les expressions pour dire ce que nous ressentons, pour dialoguer avec lui. « L’amour du Seigneur sans fin je le chante, sa fidélité je l’annonce d’âge en âge. » : c’est toujours le fruit d’une retraite ou un des fruits majeurs d’une retraite, comme le peuple d’Israël dans le désert qui n’avait quand même pas tellement fait l’expérience de sa propre fidélité à Dieu.

Eucharistie, ça veut dire action de grâce. Nous sommes le peuple de la louange ! Nous découvrons aussi à quel point nous sommes le peuple de l’intercession. La louange et l’intercession sont deux vocations majeures du peuple de Dieu. Et ce qui doit demeurer en nous c’est la louange : pas une louange désincarnée parce que nous avons vraiment conscience des drames qui se jouent au cœur de cette pandémie. Mais nous découvrons à quel point le Seigneur est fidèle et à quel point il est nécessaire que nous annoncions cette fidélité. Et comment pourrions-nous annoncer ce dont nous n’avons pas fait l’expérience nous-même ? Nous nous appuyons sur la Parole de Dieu, ce n’est pas une espèce d’émotion, d’espoir humain qui viendrait de nous-mêmes, mais c’est l’Esprit Saint qui creuse des sillons profonds dans notre vie, qui nous apprend à vivre en vérité.

Je me rappelle la première homélie (du confinement-NDLR) ; j’avais dit qu’il était important de vivre sans masque ! C’est assez paradoxal, parce que nous allons entrer dans une période où tout le monde va porter un masque. Mais peut-être nous rappeler que justement, avec le Seigneur, nous pouvons vivre sans masque. Je ne parle pas de ce masque qui nous protège des contagions possibles, mais des masques que nous nous mettons pour exister, pour paraître devant les autres ; on se compose une garde-robe de masques pour pouvoir exister dans telle ou telle existence.

Et puisque le Seigneur nous aime tels que nous sommes, nous pouvons exister en vérité. Parce que sa fidélité est grande, il est notre rocher, notre salut et il nous dit “Mon amour et ma fidélité sont avec toi ». Et tu me diras tu es mon Père. C’est quelque chose que je creuse, qui se creuse en moi : Dieu se révèle comme mon Père, il a toujours été mon Père. Il n’a pas commencé un jour à être Père, il est notre Père et nous sommes ses enfants et c’est quand même une source de joie immense. D’une certaine manière, la société a tué le père ; et voilà que Dieu se révèle comme Père, que nous sommes ses enfants, et c’est une assurance, une expérience extraordinaire. C’est le fondement de notre vie, de notre joie. Nous avons tous un père terrestre, mais nous avons un Dieu Père qui se révèle en Jésus. Quand Jésus dit dans l’évangile “Je suis”, il dit bien qu’il est le Fils de Dieu. C’est comme ça que Dieu se présente à Moïse. “Je suis” ce qui veut dire que fondamentalement, je suis la source de toute existence. Moi, comme être humain, je ne peux pas dire “Je suis”, mais je peux dire “Je suis en devenir” Parce que Dieu me donne de devenir, d’être de plus en plus moi-même, mais c’est lui qui est la source de cet être et de cette existence.

Il y a quelque chose de très troublant dans l’évangile d’aujourd’hui. Jésus a appelé Judas “Moi, je sais bien qui j’ai appelé”. Et c’est en tant que Dieu : dans l’évangile, Jésus a appelé les Douze après avoir prié longuement toute la nuit. Les Douze il les a donc reçus de son Père. Et parmi ces Douze, il y a Judas… Ce n’est pas une erreur ! Pourquoi est-ce important ? Parce que nous pouvons tous reconnaître que Dieu nous appelle tels que nous sommes, les pécheurs que nous sommes. Il n’a pas appelé des gens absolument extraordinaires, vertueux, parfaits. En fait, ce qu’il dit aux Apôtres, c’est “Je t’appelle et suis-moi”. C’est l’histoire en particulier de Simon-Pierre dont je parlerai tout à l’heure dans l’enseignement, il leur dit “Je t’appelle et suis-moi”. Même après la résurrection, Jésus dit à Simon-Pierre « Suis-moi maintenant ».

Notre histoire, c’est que Dieu n’appelle pas des gens parfaits. Il nous appelle tels que nous sommes et il n’y a pas d’erreur. Ce n’est pas nous qui l’avons choisi, c’est lui qui nous a choisis et établis pour que nous allions et qu’on porte du fruit. C’est notre être profond d’être appelé. Nous sommes appelés par un Père qui nous aime. Quel bonheur de savoir qu’au matin de notre résurrection, nous serons appelés par notre prénom : “Gilles, lève-toi, entre dans la joie de ton maître !” (enfin, j’espère…)  

Et la condition, c’est ce que dit Jésus qui a lavé les pieds : il dit le jeudi Saint « Vous m’appelez maître et seigneur et vous avez raison, puisque je le suis. Mais je ne suis pas venu pour servir mais pour servir et donner ma vie en rançon pour la multitude« . Et si vous comprenez ça, heureux êtes-vous si vous le mettez en pratique. C’est ça notre être profond : nous sommes appelés tels que nous sommes. Et dans cet appel, c’est évident que nous allons faire l’expérience que nous sommes pécheurs. Personne ne peut se présenter devant Dieu en disant “Seigneur, c’est normal que tu m’aies appelé, je suis bien meilleur que les autres ». Le pape Benoît XVI, disait que même si tu dis que tu n’es pas pire que les autres, tu es déjà en train de t’auto justifier. C’est quelque chose quand même… Parce que si je m’auto-justifie moi-même, qu’est-ce que ça veut dire ? Je ne suis pas justifié par Dieu. La part de moi-même que je justifie par moi-même est une part qui n’est pas justifiée par Dieu. Alors qu’est-ce qu’on préfère ? Être justifié par soi-même ou être justifié par Dieu ?

Pour ça, il faut reconnaître que je suis appelé et que le Seigneur nous appelle tous : c’est notre être profond, nous sommes des appelés. Être chrétien, c’est être appelé, être appelé par le Père qui nous aime et ce Père qui nous dit en son Fils “Suis-moi”. Et alors c’est de cette manière-là que le Seigneur va nous révéler notre vocation. Il dit à Simon-Pierre “ Ce sont des hommes que tu prendras” dans le futur, en attendant suis-moi. Suis-moi… Et toute l’histoire finalement entre Jésus et les apôtres est une histoire de relation.

C’est ça notre vocation qu’on n’aura jamais fini de découvrir. Et dans cet appel, ce n’est jamais fini. C’est aussi une clé de compréhension. Il faut laisser à Dieu le temps, la possibilité de dire la parole ultime. On est très fort pour réagir très vite, sauf que là, dans ce temps de pandémie, on est un peu scotché quand même. Mais, c’est important de réaliser que dans cet appel à le suivre et c’est vrai pour tous, pas seulement vrai pour les personnes qui ont une vocation à la vie consacrée, à nous tous, Dieu nous dit « Je t’appelle, je suis celui qui t’appelle, je suis celui qui te donne la vie, je suis celui qui t’invite à le suivre. Et dans cette suite, ne t’inquiète pas, ce qui peut résister en toi, ce qui est de l’ordre de la ténèbre, je vais le rendre à la lumière ». C’est une affirmation, une certitude. Et ça n’est pas terminé.

Le jour où nous allons sortir de ce confinement, essayons de nous rappeler que ce n’est pas terminé, qu’il y a encore une longue histoire que je Seigneur veut écrire avec nous.

Amen