5e semaine du Temps Pascal année A – Ac 14, 5-18 ; Ps 113b(115) ; Jn 14, 21-26
Ce n’est pas évident de parler avec un masque, mais je crois qu’il va falloir qu’on en prenne l’habitude puisque nous entrons dans la période de déconfinement. Le frère Alain-Marie du monastère de Saint Benoît me disait qu’ils étaient toujours avec leur masque parce que certains d’entre eux étaient contaminés ; et même à l’office ils étaient masqués et que c’était fatigant de chanter les offices avec un masque. Là, j’en fais l’expérience. Et il y a la buée qui remonte dans les lunettes, ce n’est pas très drôle. Mais je pense que c’est mieux de s’y habituer et de montrer l’exemple.
Dans l’évangile d’aujourd’hui, on est établi dans une relation qui a été construite, élaborée, ce n’est peut être pas dans la succession des chapitres de Saint Jean, mais dans la réalité de notre vie, l’expérience que nous avons vécue, Jésus va nous emmener au sommet de ce qu’il est venu réaliser et accomplir. C’est à dire qu’il est venu nous établir dans une relation d’amour.
Le verbe « aimer » est utilisé 7 fois dans ce petit passage. Ce verbe aimer est toute la réalité de Dieu : Dieu est fondamentalement amour. C’est vrai que nous avons des limites cruelles avec le verbe aimer : en français, on n’est pas très riche, c’est pourtant une belle langue, la langue française, pleine de richesses grammaticales. Mais on a un seul mot pour dire aimer. Dans d’autres langues, en anglais par exemple il y a like and love et on fait bien la distinction entre les deux verbes. Là je dis « J’aime Dieu, j’aime mon mari, j’aime ma femme, j’aime ma communauté, la cuisine… » et ce n’est évidemment pas du tout la même réalité.
Il ya plusieurs aspects de cette relation d’amour. D’abord, c’est une relation et ce n’est pas rien ! En terme chrétien, on parle de l’Alliance, c’est-à-dire que Dieu nous aime et nous avons découvert par bien des chemins combien il y a de désir en Dieu. Le Pape Benoît XVI disait qu’en Dieu il y avait à la fois eros, agapé et filia. C’est-à-dire cet amour filia, Là, dans l’évangile, Jésus dit « Si quelqu’un m’aime, il fera ma volonté, il vivra mes commandements » Aimer, c’est vouloir ce que l’autre veut. C’est une manière de vérifier que j’aime Dieu. Est–ce que j’aime ses commandements ? Je ne dis pas que ses commandements sont faciles, mais ce que veut la personne que j’aime, je dois apprendre à l’aimer. C’est un très beau cheminement dans l’histoire des couples et des amitiés. Il y a des relations qui se déchirent parce qu’ils n’arrivent pas à avoir cette unité de volonté. Ce n’est pas la volonté de l’un qui écrase l’autre : ça ce n’est pas de l’amour, c’est plutôt de la fusion ou quelque chose comme ça. L’Amour doit permettre à chacun d’être soi-même. Mais le fait est que dans la relation d’amour, il y a cette communion des volontés. Et je pense que dans un amour de couple devant Dieu il doit y avoir ensemble une recherche de la volonté de Dieu. Ce n’est pas un qui décide l’autre, ou un qui informe l’autre, si un couple veut chercher la volonté de Dieu, il doit la chercher ensemble parce que c’est comme ça que Dieu veut que nous vivions. Il n’y en pas un qui serait le pater familias qui déciderait pour le couple. Mais c’est le couple qui doit chercher ensemble et s’appuyer sur le discernement de chacun. Vous voyez, c’est un long chemin de faire comme ça.
Dans cette relation d’amour, chacun est un sujet. Jean parle du Père, de Jésus et du disciple et aussi, à la fin de l’Esprit Saint. C’est ça le christianisme, une relation entre des personnes. L’Alliance chrétienne, l’alliance que Dieu noue avec son peuple est une relation interpersonnelle. D’ailleurs Jude dit (il précise bien Jude, pas Judas Iscariote) « Que se passe-t-il ? Est-ce à nous que tu vas te manifester et non pas au monde ? » En fait, qu’est ce que Jude attendait ? Peut être ce qu’on attend aussi : une sorte de manifestation planétaire. C’est-à-dire que Dieu pourrait décider de manifester sa puissance sur le monde entier. Et bien non, pas encore ! Jésus va répondre par sa vraie manifestation : on sait que Jésus n’est pas venu pour sauver les structures et les institutions, il est venu nous renouveler personnellement. Ce qui veut dire que le monde va changer à la mesure où des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes, vont entrer dans cette alliance, dans cette relation avec Jésus. Et Jésus ne répond pas exactement : est ce au monde que ça va se manifester, que tout le monde le voit ? Jésus dit non : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole. » C’est ma décision ; comment je peux changer la situation actuelle ? La seule réponse sur laquelle il soit bon, nécessaire et fécond de s’arrêter, c’est : comment est ce que je peux garder cette Parole que j’ai vraiment reçue ? Hier, dans l’enseignement Bartimée, je proposais qu’on ait quelques minutes de silence au début pour accueillir cette perle, ce trésor de la Parole de Dieu que j’ai reçu pendant le temps du confinement. Parce que cette perle, même si c’est tout petit, si c’est rien du tout, c’est toute la puissance transformante de la Parole de Dieu, et donc qui va me transformer…
Jésus nous plonge à la fois dans une relation : il me dit « tu » et je peux lui dire « tu ». Ce n’est pas un dieu, ce n’est pas Dieu. On peut appeler Dieu « Dieu » bien sûr. Mais qu’est ce qu’on met derrière ? Dans toutes les religions on appelle Dieu « Dieu »…Mais là, c’est Dieu qui s’est révélé en Jésus, c’est Père en fait.
Et donc, il nous établit dans cette relation : quand je prie, à qui je parle, à qui je dis « tu » ? Il y a des gens qui disent qu’ils préfèrent passer par Marie : là il n’y a pas d’inquiétude, parce que quand tu dis Marie elle répond Jésus. Mais Jésus, en plus de nous faire entrer dans une relation de « je » et de « tu », nous fait rentrer dans la relation trinitaire. Et ça, c’est encore autre chose ! C’est la relation trinitaire, la danse trinitaire, c’est la vie trinitaire, c’est la source de tout. C’est-à-dire que Jésus nous fait entrer dans la relation qui le constitue avec le Père dans l’Esprit Saint. Et là, c’est absolument vertigineux.
Et toujours en disant « Je suis le chemin » accueillez ma parole c’est le Père que vous accueillez. Et si vous accueillez ma Parole, le Père et moi, nous serons en vous. C’est donc tout à fait à notre portée. La Parole de Dieu n’est pas loin, elle n’est pas loin de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur. Elle n’est pas si loin que ça.
Et avec cette certitude de l’action de l’Esprit Saint : « L’Esprit Saint que je vous enverrai en mon nom vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. « Qu’est ce que ça veut dire ? Ça veut dire que nous cheminons vers la Pentecôte, premièrement. Deuxièmement, que l’Esprit Saint va nous faire souvenir de toutes les graines de la Parole que Jésus a semées en nous. Peut être même sans qu’on en ait vraiment conscience. Mais si on lui demande, il va les faire accéder à notre conscience, et elles vont vraiment porter du fruit. Quand on sait la puissance transformante de la Parole, on peut après relire toute notre vie en disant « Tu étais là et je ne le savais pas ».
Amen