5ème semaine du Temps Pascal année A – Ac 1, 15-17.20-26 ; Ps 112(113) ; Jn 15, 9-17
C’est un grand paradoxe de l’évangile, peut être un des plus grands finalement, de faire se rencontrer amour et commandement. Ça ne va pas de soi du tout ! Quand on prépare les couples au mariage, arriver à percevoir ce lien que Jésus fait entre l’amour et les commandements, c’est un chemin extrêmement important. A vrai dire, c’est le chemin de toute la vie. De toute la vie où nous découvrons que l’amour ne peut pas être simplement une question de sentiment, il y a quelque chose d’autre qui doit prendre la relève. Je pense même que dans la vie des couples et dans toute relation, c’est un passage qui est extrêmement important. Pâques-passage, dans le sens pascal du terme, c’est-à-dire de mort et de résurrection : au début, dans le couple, on s’aime, on apprécie le sentiment d’aimer, « Je sens que je t’aime ». Là-dedans, il y a une sorte d’ambiguïté ; il n’y a rien de critique dans ce que je dis, mais « Je t’aime parce que je sens que je t’aime »… Je me rappelle un couple qui disait « Si un jour on ne sent plus que l’on s’aime, on arrêtera parce que ça n’aura plus de sens. »
Ce n’est pas que le sentiment ou les sensations ne sont pas importantes, mais ça ne peut pas être définitif. Cette Pâques, ce passage, c’est le moment où il va falloir que je meure à ce sentiment d’aimer pour entrer dans une autre dimension qui est celle de la volonté. Je t’aime parce que je veux t’aimer. Et ça, les couples ou les relations qui n’arrivent pas à faire ce passage là finissent par se séparer .C’est une relation qui ne peut pas durer. C’est la volonté qui prend le dessus. Et c’est comme ça que Dieu nous a aimés. Vous savez ce que dit le pape Benoît XVI : Il y a en Dieu un eros, un agapè, un filia : les trois dimensions de l’amour. Mais ce qui est le fondement de notre joie et de notre confiance, c’est que Dieu a décidé de nous aimer. C’est tout son être qui est engagé. Et quand nous voulons regarder ce que ça veut dire, décider pour Dieu, quand Dieu engage sa volonté, il faut regarder Jésus. Ma vie, ce n’est pas de « faire ma volonté, mais de faire la volonté de celui qui m’a envoyé ». La nourriture de Jésus, c’est sa volonté. Comment, dans notre vie personnelle, pouvons-nous vivre de cette manière-là ?
Comme le Père a aimé Jésus, Jésus nous aime. Et nous pouvons contempler dans la vie de Jésus ce que signifie être aimé du Père. Et comment il va nous aimer de la même manière : il nous a tout donné ! Thérèse de Lisieux dit « aimer c’est tout donner et se donner soi-même. » Et nous ne pouvons le vivre que dans la compréhension claire de ce commandement nouveau que Jésus nous laisse « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » Qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans ce commandement ? Parce que dans l’Ancien Testament on voit bien cette invitation de Dieu, ce commandement qui est source de vie. On a un peu de mal, nous les Français, peut être que dans d’autres cultures c’est un peu différent, à accepter cette dimension du devoir. On est facilement dans la dimension du droit, mais celle du devoir est plus délicate à gérer. On est un pays de droits acquis ! On a le droit maintenant de sortir, alors on va en profiter peut être que ça va soulever certaines inquiétudes…
Mais « comme je vous ai aimés » en fait n’est pas d’imiter Jésus, nous n’en sommes pas capables. Alors comment peut-il nous demander ça ? Dans l’Ancien Testament il dit « Aime ton prochain comme toi-même », c’est déjà une référence importante. Je ne peux pas aimer l’autre si je ne m’aime pas moi-même. Et là il va beaucoup plus loin : « Aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimés » il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Quelle est la nouveauté du commandement ? Elle est dans le « comme », mais pas en termes d’imitation, de comparaison ! En fait, c’est pour ça que l’eucharistie nous manque tellement. Nous avons besoin de redécouvrir la grâce de l’eucharistie. Le « comme » .L’eucharistie est la dimension sacramentelle de ce commandement. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », ça ne vous est possible que dans la mesure où vous me recevez pour aimer.
Pour paraphraser Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ». Alors l’eucharistie, c’est « J’aime, mais ce n’est pas moi qui aime, c’est le Christ qui aime en moi, jusqu’à donner sa vie. » Et vous voyez que dans notre vie, nous faisons l’expérience dans le confinement qu’il y a quelque chose qui nous dépasse. Parfois nous sommes submergés par nos émotions, beaucoup témoignent de ça. Mais si c’est seulement une question d’émotions et de sentiments, c’est tout simplement insupportable.
Quand Jésus dit « Sans moi, vous ne pouvez rien faire » c’est notre expérience et elle est salutaire. Il nous est nécessaire de dire « Je ne suis pas capable d’aimer » ; pourquoi ? Parce que ma conception de l’amour n’est pas juste. Si je veux savoir ce qu’est aimer, je dois regarder le Christ. Or, qui d’entre nous peut dire que par ces propres capacités et qualités il est capable d’aimer ? Bien sûr, j’aime, j’aime mes proches. Et encore ! Combien de relations naturelles de couple, de famille, ont été parfois proches de l’explosion, parce que nous nous appuyons sur nos capacités humaines, sur nos bonnes intentions, parfois aussi un peu sur le masque, parce que là c’est 24h sur 24. Et c’est nécessaire de faire cette expérience que naturellement, nous ne sommes pas capables d’aimer comme Jésus : c’est ça la référence. On peut lutter contre ça, on peut se désespérer tant qu’on veut, c’est une expérience absolument salutaire .Et quand Jésus dit « La vérité vous rendra libre », si dans la période de confinement nous avons fait un tant soit peu l’expérience de nos limites, alors nous nous ouvrons à la joie dont parle Jésus dans l’évangile. En fait, ce qui se passe dans l’eucharistie, c’est que Jésus nous donne son cœur, son amour, nous mangeons son amour. Nous le mangeons, nous nous en nourrissons dans la Parole de Dieu et nous le mangeons dans l’eucharistie.
Ne soyez pas étonnés que dans le temps où nous avons jeûné de l’eucharistie, nous ayons aussi perdu des forces. On dit que le confinement était insupportable. Mais nous n’avons plus, de manière aussi forte, cette nourriture qu’est l’amour de Jésus. Alors, ça doit renouveler notre désir de le recevoir. Dans ce magnifique texte du Pape Benoît XVI, « Deus caritas est », le texte programmatif du pontificat de Benoît XVI, il dit « La volonté de Dieu n’est plus pour moi une volonté étrangère, comme c’était le cas dans l’Ancien Testament que les commandements m’imposent de l’extérieur, mais elle est ma propre volonté sur la base de l’expérience que de fait, Dieu est plus intime à moi-même que je ne le suis à moi-même. » Dieu aime en moi. Alors, je peux aimer comme il aime. Alors, ne soyons pas étonnés : quelle est la source de la joie ? Qu’est ce qui vous rend heureux ? Il y a un magnifique texte du pape François qui est sorti hier, je vous invite à relire, où il nous invite à méditer tous les paradoxes de l’existence. Et il y a certaines références qui sont magnifiques, c’est dit avec beaucoup d’humour et de délicatesse et de vérité. Mais le pape François, c’est aussi son texte programmatif « La joie de l’évangile » il n’y a pas un seul enseignement du pape François où il ne parle de la joie. Et d’où nous vient-elle cette joie ? Jésus le dit dans l’évangile ! Mais si vous regardez le premier paragraphe de ce texte, ça commence comme ça : « La joie de l’évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus-Christ, la joie naît et renaît toujours. Dans cette exhortation, je désire m’adresser aux fidèles chrétiens pour les inviter à une nouvelle étape évangélisatrice marquée par cette joie et indiquer des voies pour la marche de l’Eglise dans les prochaines années. »
Frères et sœurs, la réalité c’est que Dieu nous communique tout, absolument tout, sans aucune réserve. Et la meilleure manière d’accueillir tout ce que Dieu veut nous donner, c’est de reconnaître que nous sommes un vase d’argile. Pas seulement un vase d’argile, parce qu’il y en a qui sont très « efficaces » si je peux me permettre cette expression. Mais nous sommes des vases d’argile qui fuient, ça fuit tout le temps. Et de nous présenter devant Jésus de cette manière-là, en lui demandant : Seigneur, ne remplis pas seulement mon vase, parce que tout fuit en fait, en un instant je peux tout perdre. Mais, considère que je suis un vase sans fond. Quel est le problème ? Saint Jean Eudes dit « l’abîme de ma misère appelle l’abîme de sa miséricorde. » Il n’y a qu’un seul abîme qui est infini, c’est celui de la miséricorde de Dieu. Et si je me présente comme ça, sans aucun complexe, sans aucune culpabilité, mais avec la joie des enfants, soyons sûrs que Dieu va nous remplir de sa joie. « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit parfaite et qu’elle porte du fruit en abondance, » puisque, comme nous le dit Jésus, « La gloire du Père, c’est que nous portions du fruit, et du fruit en abondance. »
Amen