5e semaine du Temps Pascal année A – Ac 15, 22-31 ; Ps 56(57) ; Jn 15, 12-17
Il ne vous aura pas échappé, frères et sœurs, en tout cas pour ceux qui ont suivi la messe hier, que nous avons le même passage d’évangile. Hier, c’était la fête de Saint Matthias avec ce récit, et nous le retrouvons aujourd’hui, avec la conviction que ce n’est pas simplement le hasard des calendriers…Mais tout comme pendant le temps de confinement nous avons entendu trois fois le récit des pèlerins d’Emmaüs, si l’Esprit Saint, qui agit au cœur de la liturgie, nous propose du jour au lendemain d’avoir deux fois le même récit, c’est peut être qu’il y a vraiment quelque chose à apprendre, quelque chose à entendre, et que ça entre vraiment en nous ! Tous ceux qui sont pédagogues, qui ont enseigné, connaissent bien cette vertu de la répétition ! Combien de fois Lilou [seule jeune de l’assemblée…-NDLR], as-tu entendu de tes parents les mêmes choses en te disant peut-être « Je le sais déjà, maman tu radotes ! » Et pourtant, c’est par l’exercice de la répétition que nous avons fini par intégrer ce dont nous avions besoin. Après, notre liberté s’exerce et notre liberté décide de prendre en compte ce que nous avons reçu ou non. En tout cas, nous l’avons reçu…
Evidemment, c’est la grâce. Chacun d’entre nous doit puiser dans ce trésor la nourriture qui lui convient. C’est sûr que si nous regardons chacun ce que nous avons dans notre assiette, nous ne mangeons pas tous la même chose, et nous essayons de manger ce qui est bon pour nous. La richesse de ce passage de l’évangile, comme tout l’évangile d’ailleurs, nous permet chaque jour de nous nourrir d’une manière particulière.
Ce qui pour moi me touche beaucoup dans ce passage d’évangile, c’est la volonté de Jésus de ne faire qu’un avec nous, de nous intégrer pleinement dans la vie trinitaire. De l’union qu’il a avec son Père, il nous fait entrer pleinement par l’offrande qu’il fait de sa vie dans cette communion trinitaire. Nous sommes constamment ressaisis dans la danse trinitaire.
À vrai dire, ce n’est pas un effet de nos vertus et de nos qualités, mais vraiment la volonté de Dieu : c’est Dieu lui-même qui nous a choisis ; c’est Jésus qui nous a choisis. Comment nous a-t-il choisis ? On a vu pendant le confinement, qu’il nous a choisis en nous recevant de son Père. Rappelez-vous il a choisi Judas et lui a lavé les pieds. Cela fait partie intégrante de notre foi : si Jésus a choisi Judas qui l’a trahi et que sachant qu’il allait le trahir il lui a lavé les pieds, jusqu’à quel point devons-nous nous dire : moi je suis choisi comme pécheur ? Je ne suis pas choisi parce que je suis meilleur que les autres. Et ce n’est pas parce que je serai pire que les autres que je ne serai pas choisi. C’est toujours à cette source qu’il faut revenir. Je suis choisi…
Ce choix, après, Jésus le décline. Par exemple, il dit quelque chose d’assez troublant. Il dit « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis. Parce que le serviteur ignore ce que fait le maître, mais moi je vous ai tout dit. » J’ai entendu récemment quelqu’un dire « Je ne dois pas être vraiment encore son ami, parce que je ne connais pas tout… »
Comment comprendre ce que nous dit Saint Jean ? Moi, il me semble qu’il y a un passage dans l’évangile selon Saint Jean qui peut nous éclairer. C’est le récit des noces de Cana. Vous savez ce qui se passe : il n’y a pas de vin, Marie attire l’attention de Jésus qui lui dit « Mon heure n’est pas encore venue » ce qui situe la signification du miracle de l’eau transformée en vin dans la perspective de la passion, de l’heure de la gloire. Et Marie dit aux serviteurs « Faites tout ce qu’il vous dira ». Et Jésus dit aux serviteurs « Remplissez d’eau les jarres. […] Puisez et portez-en au maître du repas ». Or, les seules personnes qui savent exactement ce qui s’est passé, ce sont les serviteurs.
Là, on dirait que Jésus fait une sorte d’opposition entre le serviteur et l’ami, mais c’est précisément dans l’évangile des Noces de Cana que nous découvrons que la réalité c’est l’articulation entre les deux. Si j’entre dans cette attitude du serviteur, qui accomplit pleinement la volonté se son Père, alors je serai celui qui est le mieux placé pour connaître, comprendre la volonté de Dieu.
Soyons clairs, je ne suis pas sûr que les serviteurs des noces de Cana avaient fait des études de théologie, connaissaient la Torah par cœur ; on n’en sait rien en fait ! Simplement, en se mettant dans cette attitude de serviteurs, ils ont été aux premières loges, et même, en réalité, non seulement ils ont su ce qui s’était passé, mais ils en ont été les acteurs principaux. Pourquoi ? Parce que quand les serviteurs sont allés porter l’eau au maître, ce n’était que de l’eau. Et c’est donc précisément dans l’acte même d’obéir aux indications de Jésus que cette eau s’est transformée en vin.
Et ça s’est vraiment la réalité de notre vie. Quand nous obéissons aux commandements du Seigneur, il se passe cette transformation. Et ce qui est magnifique, c’est qu’évidemment c’est Jésus qui agit dans la puissance de l’Esprit Saint, mais nous sommes pleinement acteurs. Il y a beaucoup d’autres passages comme ça dans les évangiles où parce que nous obéissons à la volonté de Dieu, comme Simon-Pierre qui dit « On n’a rien pris de la nuit, mais sur ta parole je vais jeter les filets ». Si Simon-Pierre n’avait pas obéi à Jésus, il n’aurait pas été non seulement le témoin de ce miracle, mais l’acteur principal. Vous comprenez quand Jésus nous dit « Je ne vous appelle plus serviteur » ? ça veut dire, il me semble, si je comprends bien, que dans la mesure où vous êtes serviteurs et obéissants dans la liberté, dans l’amour à mes commandements, alors vous allez voir ce dont vous êtes capables. Et toujours en rattachant que c’est Jésus qui nous a choisis et qui nous a établis pour que nous portions du fruit. Est-ce que vous réalisez dans quelle assurance, dans quelle solidité, est installée votre vie et votre vocation ? Et je parle de toutes les vocations. C’est la réalité pour chacune de vous ici : vous êtes choisies par Jésus, il vous a établies pour que vous portiez du fruit (l’assemblée est exclusivement féminine – NDLR) la seule chose qu’il nous demande, c’est d’être ses disciples, c’est-à-dire de l’écouter, et il ne s’agit pas d’une compréhension intellectuelle.
Mais pourquoi obéit-on à quelqu’un ? Il y a deux raisons. La première, c’est qu’on a peur, on a peur de la personne qui exerce sur nous une pression épouvantable. On a peur d’être puni. Alors on va obéir au gouvernement parce qu’on a peur d’avoir une contravention.
Il y a une autre raison pour laquelle on obéit : c’est l’obéissance dans la foi. J’obéis parce que j’ai confiance. Et je n’ai pas besoin de comprendre. Si celui en qui j’ai mis toute ma confiance, et c’est légitime parce que Dieu a prouvé qu’il nous aimait, si celui en qui j’ai mis toute ma confiance me demande quelque chose que je ne comprends pas, alors il y a l’obéissance de la foi qui prend le relais. Ok, je ne comprends pas, mais je le fais. « Nous n’avons rien pris de toute la nuit, mais sur ta parole, je vais jeter les filets ». Ou bien « Ok, on va puiser de cette eau dans ces jarres, on n’a pas peur du ridicule ; et puisqu’il nous l’a demandé, nous allons en porter au maître du repas » et ce sera du vin, et le meilleur.
C’est vraiment tout le sens de notre vie, et tout le sens de ce désir que Jésus a, dans les sacrements et dans l’écoute de sa Parole, de nous unir pleinement à la vie trinitaire qui a cette fécondité extraordinaire.
Hier je vous ai lu un passage de « Deus caritas est », récit très accessible, assez accessible…, c’est du Benoît XVI, assez proche de notre culture.
« L’amour est ‘divin’ parce qu’il vient de Dieu… »
C’est le commandement « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Hier je vous ai dit que le comme n’était pas imiter Jésus, parce que nous en sommes rigoureusement incapables, mais le comme a une dimension sacramentelle qu’est l’eucharistie. Quand je reçois l’eucharistie et les sacrements, je reçois la capacité d’aimer comme il aime ; sinon, c’est impossible. C’est pour ça que l’eucharistie ne peut jamais être une option. Quand je dis « Je crois mais je ne pratique pas », c’est quelque chose d’invraisemblable. Parce que croire peut nous conduire jusqu’au témoignage suprême, et comment puis-je donner ce témoignage de Dieu si je ne le reçois pas ? Ce n’est pas concevable ! Nous nous le savons, mais nous avons besoin d’approfondir…
« L’amour est ‘divin’ parce qu’il vient de Dieu et qu’il nous unit à Dieu, et, à travers ce processus d’unification [qui passe par les sacrements, en particulier celui de l’eucharistie bien sûr, sacrement de l’unité ; mais aussi le sacrement du pardon qui restaure l’unité qui a été pleinement donnée par notre baptême] il nous transforme en un Nous [avec une majuscule, le Nous de la vie trinitaire], qui surpasse nos divisons et qui nous fait devenir un, jusqu’à ce que, à la fin, Dieu soit ‘tout en tous’ (1CO 15, 28) » [Deus Caritas est §18 – NDLR]
C’est vraiment le mystère du sacrement de l’eucharistie que nous vivons maintenant.
Amen