Ascension année A – Ac 1, 1-11 ; Ps 46(47) ; Ep 1, 17-23 ; Mt 28, 16-20
C’est salutaire de se laver les mains (après la lecture de l’évangile par Père François, Père Gilles prend le temps de se laver les mains au gel avant de commencer l’homélie – NDLR). J’ai partagé hier avec les jeunes du collège pour savoir comment ils vivaient toutes les consignes et c’est vraiment un geste qui permet de sauver des vies. Le virus est dangereux, mais on peut assez facilement le combattre si vraiment on respecte toutes ces consignes, ces restrictions. Il y en a peut être telle ou telle qui peuvent nous paraître excessives, mais dans cette rigueur…
J’aime bien toujours rappeler cette parole de l’évêque : « consentir ». Comment est ce que je consens à vivre ces règles qui nous sont données à tous ? Et qui nous sont données pour nous préserver et sauver des vies humaines ? Quelle est l’attitude particulièrement chrétienne ? Dans le consentement joyeux… Consentir joyeusement à ce que nous vivons. Même si parfois ce peut être austère, nous pouvons le vivre dans une action de grâce, dans une offrande, en esprit de sacrifice, comme Jésus lui-même l’a fait pour manifester son amour.
Évidemment, ce n’est pas de ça que je veux vous parler, même si ça fait partie de la vie quotidienne, et Dieu sait combien Dieu aime notre vie quotidienne ! Tout ce que nous vivons… Hier je partageais ces 30 années de vie cachée à Nazareth, comment il a sanctifié absolument toutes les activités humaines. Hier avec les collégiens, on parlait de cette attitude qui consiste à remercier tous les gens qui nous ont permis d’avoir une vie normale. Notamment, je leur disais « Avez-vous remercié vos professeurs ? » Mais pas seulement…il y avait des élèves qui disaient avoir mis des autocollants sur les poubelles pour remercier les éboueurs, pour remercier les commerçants, pour remercier tout le monde. Je leur ai dit « La prochaine fois que vous mangerez votre pain le matin, remerciez la boulangère ou le boulanger, parce que vous avez pu manger du pain, manger sans jamais manquer de rien pendant cette période, parce que plein de gens ont continué d’accomplir leur service. »
Et moi je suis dans l’action de grâce pour tout ce que la communauté chrétienne a pu vivre et faire vivre : c’est là où on se rend compte qu’on ne vient pas pour nous-mêmes. On pourrait se dire : je reste devant ma télé à regarder la messe diffusée au niveau national. Mais par ces petites participations, nous avons continué de créer du lien. Et c’est vraiment ce que le Seigneur nous a demandé : de ne pas rester chez nous dans notre confinement, mais, de toutes les manières possibles, voir comment rendre service. Il y a un enfant de Saint Denis en Val qui, aux premiers jours du confinement, a été mettre des petits papiers dans les boîtes aux lettres en disant : « J’ai tel âge, je suis de Saint Denis en Val, je suis disponible ; contactez-moi si vous avez besoin que je vous fasse des courses. » Quand je racontais ça aux collégiens hier, ils me disaient « Ah ouais, c’est vraiment génial ! » Moi, j’ai été éberlué par la créativité, l’ingéniosité, la solidarité qui s’est manifestée de tellement de manières différentes et possibles.
Soyons dans la joie ! Parce que ça, c’est une expérience liée au don de l’Esprit Saint qui continue et il n’agit pas seulement dans la vie et le cœur des croyants, mais de tous les gens de bonne volonté, comme dit le Concile Vatican II.
La lecture de l’évangile que nous avons entendu, c’est la finale de l’évangile selon Saint Matthieu. Ce sont les derniers versets… Je ne sais pas si vous aimez la musique, mais il y a des finales qui nous saisissent, qui nous emportent, c’est l’apothéose… Là, il y a quelque chose comme ça.
Dans l’évangile, vous avez remarqué, il y a un paradoxe : Jésus les emmène sur la montagne, c’est quand même un lieu très symbolique, c’est le lieu de la rencontre avec le Seigneur. Il y a eu beaucoup d’événements qui se sont passés sur la montagne, en particulier la Transfiguration ; c’est toujours les lieux où nous sommes en présence de Dieu. Mais toujours avec la nécessité de redescendre. C’est là qu’il y a quelque chose d’incroyable : une fois encore, dans cette finale, Matthieu nous dit que « d’aucuns doutaient encore ». Vous comprenez bien ce que ça veut dire : c’est-à-dire que malgré les 40 jours où Jésus est apparu, où comme dit la lecture « Il leur a donné des preuves et des signes » et bien, ses apôtres qui sont là, qu’il a formés pendant 3 ans, « d’aucuns doutaient encore ». Moi, j’aurais été rédacteur de l’évangile j’aurais enlevé ça ! À force de méditer, je me dis : est ce que ce n’est pas ce petit détail là qui change tout… Parce que c’est bien eux qu’il appelle, il appelle les Douze, et d’ « aucuns doutaient encore ». Mais qu’est ce que c’est que ces gars-là, et ces gars et ces filles de tous les temps qui sont appelés par le Seigneur, et qui doutent encore ! Et qui vont continuer de douter toute leur vie ! Qui d’entre nous peut dire qu’il a une telle assurance, une telle foi, qu’il reste absolument inébranlable ? Qui parmi nous n’a jamais fait cette expérience du doute ? Et bien ça semble ne pas être un problème, au contraire !
Ce qui est étonnant, vous avez compté le nombre de (comment ça s’appelle ce petit mot ?) « tout » ? Hier, au collège, il y avait un exercice et le professeur disait que nous avions perdu des réflexes grammaticaux. ..
Vous avez vu, cinq fois ce mot est employé. C’est-à-dire qu’il monte sur la montagne, il leur montre l’étendue de la mission mais c’est la totalité ! La totalité du pouvoir qui lui a été donné, la totalité des nations, et la totalité de son enseignement, et puis la totalité de l’espace ! Il ne leur dit pas « Ecoutez, les gars, soyons sérieux : commençons pas un petit bout… » Mais là, aux apôtres, et à tous ceux qui vont leur succéder et tous ceux qui vont entrer dans cette dynamique de disciple-missionnaire, que montre Jésus ? Il montre la totalité. Mais ça c’est un truc complètement incroyable !
Il y a une petite histoire qu’on raconte, assez jolie et assez éloquente : la cour céleste est en train de contempler ce qui se passe au moment de l’Incarnation. Et là, à Bethléem, il y a une toute petite lumière qui brille, cette petite lumière, contemplée par les bergers. Et tout autour c’est la ténèbre… Et l’ange Gabriel dit « Mais regarde Seigneur, il y a cette toute petite lumière, là…Et là c’est la ténèbre. Mais tu as quand même bien un plan B pour aller allumer la lumière partout ? » Et Dieu dit « Non, je n’ai pas de plan B, il n’y a que celui-là… » Et c’est ce plan-là qui est en train de s’accomplir.
Alors, qu’est ce qui se passe ? Là encore, il y a une expression dans ce «mandat de Jésus » (c’est comme ça que ça s’appelle) : le « Yala ! » comme Mère Teresa de Calcutta. « Yala ! on y va, allons-y ! » Et c’est dans ce mandat, dans ce commandement, que tout se joue ! C’est-à-dire que Jésus n’est pas en train d’envoyer des gars qui sont totalement au top… D’ailleurs, peut être que s’ils partaient un peu comme Simon-Pierre « Je donnerai ma vie pour toi » ils iraient rapidement se casser la figure. Mais là, ils ont l’expérience de leur fragilité et en même temps cette confiance, cette ouverture extraordinaire que Dieu leur fait. Et quand il nous appelle, il n’appelle pas des gens compétents. C’est dans l’appel et dans la réponse que permet l’Esprit Saint qui nous est promis, que nous allons puiser la force : c’est dans le « Yala ! Allez-y ! « C’est dans cet envoi que nous trouvons la force.
Et quel est le problème ? Au moment de l’Ascension, les disciples restent là et l’ange leur dit « Mais pourquoi restez-vous là ? » L’important est dans la marche. Allez-y et dans la marche vous ferez l’expérience… Combien de fois entendons-nous dire « Mais on n’a jamais fait ça, on n’y arrivera jamais, on n’est pas assez nombreux, on n’est pas assez capables !… » Ok, c’est exactement comme les apôtres, exactement ! « Allez, allez, je vous envoie. Et moi, je sais où est la victoire, où est l’aboutissement de tout ça. »
Evidemment, il y a une clé : c’est ce que dit la première lecture, la promesse du Père. Nous avançons vers la Pentecôte. Et pour vraiment avancer vers la Pentecôte, il faut être dans cet état de dire : « Mais Seigneur, devant une telle ampleur de la mission, nous n’y arriverons pas ! » Ok, je vais vous envoyer la promesse du Père, l’Esprit Saint. Ce que je vous ai toujours promis. Et finalement, tout ce que Jésus a fait, c’est justement pour que nous puissions recevoir l’Esprit. Que nous puissions le recevoir en plénitude et que nous puissions accomplir toute cette mission qu’il a inauguré et qu’il nous demande de déployer nous qui sommes le corps du Christ, c’est-à-dire l’Eglise.
Alors, il y a une clé qui est très importante. La première clé, on est bien d’accord c’est « D’aucuns doutaient encore » : on continue de douter. Ça ne semble jamais être un problème pour Jésus.
La deuxième chose, c’est « Allez » Si on reste là, à attendre que les choses se passent, rien ne se passe par définition… Mais si on y va, on va faire une expérience extraordinaire. Nous allons être émerveillés. Pourquoi ? Parce que Dieu tient promesse.
La troisième chose qu’on oublie souvent, très souvent, c’est que dans le mandat de Jésus, il dit « De toutes les nations (de toutes les nations, pas de quelques-unes ! C’est incroyable cette affaire-là. Si on vivait tout le temps avec la perspective que ce que Jésus demande, il faut le faire, on le ferait. Il n’y aurait pas de problème…) Faites des disciples, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. » Pas seulement ce qui vous arrange ou que vous trouvez acceptable. « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Le seul verbe qui est fini, c’est « Faites des disciples » ça n’est pas de les baptiser, de les former. C’est un renouveau complet de l’Eglise qui doit se mettre en place. Jésus ne nous demande pas de baptiser, de faire des mariages, même pas de former… Il nous demande de faire des disciples. Est-ce que c’est notre orientation ? Il nous semble que dans la Vision Pastorale, nous avons essayé de comprendre ça : que toute demande adressée à l’Eglise permette d’ouvrir un itinéraire au terme duquel les personnes qui rentrent en relation avec l’Eglise deviennent des disciples. Mais combien de temps faut-il pour que cela soit possible ?
Ce qui me frappe dans notre expérience, c’est que pendant deux mois, on n’a pu donner aucun sacrement, ou très exceptionnellement. On n’a pas baptisé, ni les enfants, ni les jeunes, ni les adultes ; il n’y a pas eu de premières communions ; il n’y a pas eu de mariage ; énormément de célébrations de funérailles, qui ne sont pas des sacrements, ont été vécues au bord des cimetières. Et par ailleurs, ce que nous pouvons constater, c’est qu’il semble que nous ayons augmenté le nombre de disciples. C’est-à-dire de personnes qui ont entretenu et qui continuent d’entretenir une relation avec l’Église, et qui l’ont renouvelé, en fait. Il y a beaucoup de personnes qui ont dit que ça les avait nourries, ça les avait aidées à tenir, ça avait développé des liens entre eux et dans leurs remerciements, ils remercient l’Église. Et pourtant, on ne leur a donné aucun sacrement…
C’est un paradoxe ! ça doit nous interpeller ! C’est vraiment notre mission, celle que le Seigneur nous confie à l’Ascension : faire des disciples.
Par exemple, on a continué la préparation au mariage, mais aucun mariage n’a eu lieu. C’est la première fois, depuis que je suis curé, qu’au terme du bilan de cette préparation, la moitié des couples disent « nous voulons continuer après notre mariage. Nous voulons continuer avec vous. » L’an dernier, nous avons demandé aux couples s’ils voulaient continuer ; certains ont dit oui. Là, au bilan, la moitié des couples que nous avons accompagnés ont dit « Nous voulons continuer »… Comment peut-on expliquer cela alors qu’ils n’ont pas reçu de sacrement ? Est-ce que là, le Seigneur n’a pas apporté une preuve, si on en avait besoin, que l’important est là : « Faire des disciples ».
Alors frères et sœurs, nous avançons vers la Pentecôte. C’est tout proche, il faut demeurer en prière au cénacle, avec la Vierge Marie. Il faut prier la Vierge Marie, parce que c’est elle qui va lever tous les obstacles de nos illusions, de nos découragements, de nos certitudes mal placées, de ce qu’il faut faire. La Vierge Marie, dans cette prière, va nous obtenir la grâce d’être en disponibilité pour tout ce que le Seigneur, l’Esprit Saint et c’est un Esprit Créateur, va développer en nous des trésors d’ingéniosité. Et il y en a eu tellement pendant ces deux mois de confinement… Des trésors d’ingéniosité.
Vous êtes d’accord ? Yalla ! Allons-y, frères et sœurs, ensemble, allons-y ! Les églises vont bientôt s’ouvrir, mais n’oublions pas où est notre véritable mission !
Amen