Première messe avec grande assemblée dans l’église
7ème semaine du Temps Pascal Année A – Ac 1, 12-14 ; Ps 26(27) ; 1P4, 13-16 ; Jn 17, 1b-11a
Cette situation dans laquelle nous sommes est vraiment très paradoxale et même débordante de paradoxes ! Par exemple, le nombre de fois où les célébrants ont dit « Rassemblez-vous ! Rapprochez-vous du chœur ! » Et là les consignes sont exactement l’inverse : « Dispersez-vous dans l’assemblée, occupez tout l’espace ! » Remarquez, c’est aussi une belle image de l’évangélisation : on n’a pas besoin d’être nombreux partout, mais d’être là où on doit être. Alors, ça avait commencé avec le geste de paix : « Rapprochez-vous, manifestez-vous la Paix non pas comme un signe, mais comme un don » Nous avons reçu la Paix du Christ et ce n’est pas un geste que nous nous donnions, mais vraiment la Paix du Christ. Et du jour au lendemain, nous nous sommes interdit de nous manifester notre affection filiale, fraternelle… Mais nous avons appris à nous regarder autrement.
Il y a aussi cet autre paradoxe : là nous sommes 250 dans l’église, mais il y a aussi toute cette fraternité Gabriel à laquelle nous avons participé tous, à des degrés différents. La fraternité Gabriel, c’est ce nom donné à ceux qui se connectaient aux soirées Hosanna’M et d’autres événements que nous avions filmés, pour être en communion avec nous. Là, nous avons tous, tous ceux qui se sont connectés en tout cas, nous avons participé, été membres de cette fraternité Gabriel. Audrey me disait qu’il y avait un certain nombre de connexions actuellement avec nous, les personnes qui n’ont pas souhaité ou n’ont pas pu se joindre à nous. C’est une autre manière de faire Église.
Je crois que dans ces paradoxes le Seigneur nous invite à découvrir, à approfondir les gestes, les rites, les attitudes qui doivent être le reflet de ce que nous avons dans notre cœur. Je racontais que l’autre jour au collège, il y avait deux élèves qui se disaient leur joie de s’être retrouvés. Ils avaient tous un beau masque et donc on ne voyait que les yeux. Et je demandais à son copain : « Est-ce que tu as vu qu’il était heureux de te retrouver ? » Si vous aviez vu la lumière qui jaillissait de ce regard quand il m’a dit « Oui, je l’ai vu dans son regard qu’il était heureux de me retrouver ! »
Tout à l’heure, nous avons chanté. Des fois on vous invite à taper des mains, mais là c’est venu spontanément… ça se voyait, ça se voit dans votre attitude, même si vous ne gesticulez pas, comme je peux le faire moi-même, on voit que nous sommes heureux de nous retrouver… Je pense qu’il s’est vraiment passé des choses importantes pendant ce temps de confinement.
Très certainement nos communautés ne seront plus les mêmes, l’Église ne sera plus la même. Nous n’avons pas à chercher à revenir comme on était avant, à reprendre nos marques. Mais à découvrir comment nous pouvons vivre ensemble, recueillir tous les fruits de ce qui a été semé, que ça continue de porter du fruit. Nous avons à rester dans cette attitude de disponibilité, d’attention les uns aux autres.
Quand j’ai envoyé un petit mot pour les enfants de l’école Saint Marceau, je leur ai dit « Vous savez, il va falloir apprendre à obéir à la loi. Non pas parce qu’on a peur d’être puni, mais par amour pour les autres. Garder les distances de sécurité, mettre le masque, nous laver les mains, ce sont non pas des gestes barrière comme il est dit, mais des gestes de protection comme le dit Marie-Anne. Apprenons à avoir des attitudes qui prennent soin les uns des autres.
Je trouve aussi qu’il y a quelque chose de beau dans cette distance : trop de distance, nous ne pouvons pas communiquer. Mais trop de proximité, nous n’arrivons pas à communiquer non plus.
Je me rappelais tout à l’heure l’évangile de la multiplication des pains où Jésus dit aux apôtres « Répartissez-les par groupes de 50. » Nous avons beaucoup réfléchi pour organiser l’espace liturgique, mais dans l’attitude même de Jésus il y a ce souci d’organiser. L’organisation est un soin que nous nous donnons les uns aux autres.
Qu’entendons-nous dans l’évangile ? D’abord que Jésus change de ton : ces derniers temps, nous avons tous été marqués par la Parole de Dieu qui a pris dans notre vie une autre place, puisse-t-elle porter du fruit, parce qu’elle est notre lumière, elle est notre nourriture, elle est ce sur quoi nous pouvons fonder notre vie. Nous avons fait l’expérience de notre fragilité, de notre vulnérabilité personnelle, communautaire et même humanitaire. Mais du coup, c’était peut être l’occasion, et je crois que nous l’avons saisie, de découvrir la puissance de la Parole de Dieu qui ne peut pas mentir ! Jésus, dans les derniers jours, il nous parlait tellement avec tendresse ; et là, il a une autre attitude : nous commençons la grande prière sacerdotale de Jésus. Il nous parle comme le Fils qui s’adresse à son Père. Mais il le fait de telle manière que nous en soyons les témoins.
Je crois qu’il nous dit trois choses. Il nous dit tellement de choses, la Parole de Dieu est absolument infinie, c’est un mystère, on n’a jamais fini de découvrir ce que la Parole de Dieu secrète comme trésor pour chacun de nous…
Il dit d’abord qu’il a accompli son œuvre, celle de faire connaître le Père. Il a fait connaître le nom du Père. Vous savez, c’est un grand désir dans l’Ancien Testament : Moïse qui parle à Dieu en disant « Mais comment je vais te présenter ? » Et Dieu se présente : « Tu leur diras ‘je-suis’ ». Mais ce que Jésus est venu faire ce n’est pas contredire, puisque Jésus lui-même s’approprie cette manière de se nommer « Je-suis » : « Je suis la porte des brebis, je suis la lumière, je suis la résurrection, je suis la source, je suis la vie. » Et en Jésus, voilà que le nom du Père prend toute sa signification. Et c’est là l’œuvre de Jésus Christ, l’œuvre qu’il a parfaitement accomplie.
Il semble que le verbe « donner » soit très présent. Un spirituel dit que l’aimant est le Père, l’aimé est le Fils et que l’Amour est l’Esprit Saint. Nous, nous sommes des « donnés »… Dans la Trinité, il y a un jaillissement continuel du don, donné et accueilli. Et nous sommes plongés dans cette réalité là. Nous sommes adoptés par le Père, nous sommes ses enfants. C’est la première chose : Jésus est venu accomplir son œuvre et son œuvre est parfaitement accomplie. Nous connaissons le nom du Père. Nous ne le connaissons pas évidemment de manière intellectuelle. Nous le connaissons de manière existentielle. Et l’accueil de ce nom tel que Jésus nous le révèle est appelé à porter du fruit, pas parce que nous sommes bons. J’aime beaucoup cette traduction de Hosanna, qui veut dire ‘Seigneur sauve’ que proclamait la foule lors de l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem. ‘Seigneur sauve’ ! Tel est le nom de Dieu, Dieu est notre Sauveur ! Il est aussi notre médecin. Il est tout pour nous : il est notre source, il est notre bonheur, il est notre joie.
C’est la première chose : Jésus est venu accomplir l’œuvre du Père.
La deuxième chose, la deuxième étape qui est très importante ; vous savez bien quand on se donne et qu’on ne donne rien de mieux que soi-même : « Aimer c’est tout donner et se donner soi-même » dit Thérèse de Lisieux, alors qu’est ce que le don, qu’est ce que l’amour qui se donne attend ? Et bien justement que nous le recevions. « Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi. » Nous l’avons accueilli. Alors, peut être que dans l’esprit de Jésus, c’est plus une certitude, une promesse, parce que c’est le chemin de toute notre vie. Qui peut dire aujourd’hui qu’il a tout reçu du don du Père en son Fils ? qui peut dire qu’il a franchi toutes les étapes ? D’ailleurs, ce ne sont pas les étapes qui sont importantes, mais la marche. Le mot d’ordre de Jésus à ses disciples qu’il appelle c’est « Suivez-moi ! » Même à Simon-Pierre après la résurrection : il lui annonce de quelle manière il va témoigner de lui.
Nous n’avons pas à suivre d’autres réalités, d’autres annonces, mais suivre l’Evangile qui est Jésus lui-même, il est le Royaume de Dieu. C’est une personne, ce n’est pas une idée ou un concept. C’est quelqu’un qui nous révèle le visage du Père.
Cette réception de l’œuvre, c’est un chemin, c’est l’itinéraire de toute notre vie, ça doit être l’orientation de toute notre vie. C’est un choix que nous devons renouveler constamment. Tout à l’heure quand nous réciterons le Credo, pensons-le comme un renouvellement de notre décision de suivre le Christ pour recevoir son œuvre, pour recevoir le nom du Père que nous disons dans le ‘Notre Père’… puisqu’il est notre Père, nous sommes ses enfants et nous sommes tous frères et sœurs les uns des autres.
La troisième chose c’est que cette œuvre nous est confiée. Jésus dit dans la finale de l’Evangile : « Désormais je ne suis plus dans le monde, eux ils sont dans le monde et moi je viens vers toi ». Soyons clairs, Jésus ne s’éloigne pas de nous, il inaugure une nouvelle présence, une présence intérieure. Il vit en nous, dans tous nos gestes, dans nos paroles. Il est le Royaume de Dieu vivant en nous, et cette œuvre nous est confiée. Et nous avons à l’accueillir et à l’accomplir, c’est une mission.
J’aime bien cette expression de notre évêque : « Il faut consentir et espérer ». Consentir, c’est ne jamais se laisser écraser par les événements, mais les habiter. Dans la Bible, parole et événement, c’est le même mot : chaque événement est une invitation à entrer en dialogue, en alliance avec ce Dieu qui se révèle dans la plénitude de son être, qui nous dit : Tu es mon enfant, en toi je dépose ma gloire.
« Vous accomplirez des choses encore plus extraordinaires. » Voilà comment nous pouvons accueillir cette œuvre qui est de croire en Jésus, de croire en le nom du Père que nous avons reçu, croire vraiment que nous sommes ses enfants… et nous sentir envoyés.
Dans l’envoi des disciples, dans la finale de l’Évangile selon st Mathieu, le jour de l’Ascension, Jésus envoie ses disciples, il leur donne la mission universelle. Il leur demande de proclamer toutes ses paroles, tout ce qu’il a dit à toutes les nations. Et saint Matthieu dit : « D’aucuns doutèrent encore ». C’est la réalité de notre vie. Nul ici n’a été choisi parce qu’il a une foi inébranlable. La dynamique de la mission que nous avons reçue, c’est d’être envoyé ! Jésus nous dit : « Allez ! » d’ailleurs, je corrige cette citation que j’ai dite le jour de l’Ascension, ce n’était pas Mère Teresa qui avait dit : Yalla ! car c’est de l’arabe, donc c’est Sœur Emmanuelle, m’a dit le Père François à la sortie de la messe…
C’est aussi ce que nous dit notre évêque : Allez ! Allez dans le monde entier… et il est le successeur des Apôtres ! et c’est ça notre dynamique, notre courage c’est d’être envoyé tel que nous sommes ! Consentir et espérer…
Le Royaume de Dieu est là, nous ne sommes pas dans une parenthèse de la vie de l’Église, nous sommes en plein dans la vie de l’Église. Et nous sommes ceux que le Seigneur a choisis, Il n’a pas choisi quelqu’un d’autre, Il a choisi chacun d’entre nous et la question que nous pouvons nous poser : comment ne rien lâcher ? Il y a eu de très beaux fruits…
Aujourd’hui et le jour où nous devrons répondre à cet appel, à suivre le Seigneur, à nous laisser former, enseigner par Lui, à faire l’expérience extraordinaire de sa puissance, tout pouvoir lui a été donné sur la terre comme au ciel… Nous sommes le corps du Christ, nous ne pouvons pas imaginer que la tête est coupée du corps. Nous avons reçu toute la puissance de l’Évangile, il nous appartient de la recevoir et d’en vivre… Nous avons la joie de recevoir ce sacrement, sacrement de l’amour, sacrement de l’unité, sacrement de la joie. Entrons au Cénacle, pleinement avec la Vierge Marie, ensemble, pour nous préparer, non pas à sortir d’un confinement mais à recevoir l’Esprit Saint qui est la promesse du Père, qui est l’amour-personne du Père que nous recevons en plénitude. Nous avons à répandre cet amour.
Amen !