Homélie du mardi 3 novembre 2020

4 Nov 2020 | Homélies

Père Gilles Rousselet

31ème semaine du temps ordinaire – Année A (Ph 2, 5-11 ; Ps 21 ; Lc 14, 15-24)

Pendant le premier confinement, ce qui avait été un peu le fil rouge de notre itinéraire, un peu désertique mais avec la fécondité de celui du peuple d’Israël dans le désert, c’était le récit de la Samaritaine. On peut dire qu’on commence ce confinement à la fois avec la fête de la Toussaint, et aussi la commémoration des fidèles défunts. Et avec l’évangile d’aujourd’hui, ce banquet. Ce qui est intéressant, c’est que là, ce n’est pas Jésus qui prononce des béatitudes, mais c’est ce convive qui dit « Heureux celui qui participera au repas dans le royaume de Dieu ! » Habituellement, c’est Dieu qui proclame les béatitudes, et là c’est ce convive. Peut être cela nous indique un chemin, un itinéraire de questionnement, de bilan sur notre propre vie. Quand nous proclamons la joie d’être invités à ce banquet, qu’est-ce que nous voulons dire ? Qu’est ce que ça révèle, qu’est ce que ça cache de nos propres ambiguïtés, ambivalences… Vous savez, ce « oui, mais… » en sachant que la seule personne qui a seulement dit oui, ou non, (mais « que votre oui soit oui, que votre non soit non ») c’est la Vierge Marie ! C’est elle aussi parce que, à l’image de son Fils, Dieu n’a jamais dit autre chose que oui ou non, entre les deux il n’y a rien.

C’est peut ça qui est interrogé : sommes-nous heureux de pouvoir participer à ce repas ? Nous savons bien que c’est difficile pour ceux qui ne le peuvent pas. Et justement, profitons de cette occasion pour nous laisser interroger, visiter par la parole de Dieu par l’Esprit Saint. Pour voir jusqu’à quelle profondeur nous sommes heureux de participer à ce repas. Sachant évidemment qu’il s’agit du banquet céleste, de la vie éternelle, mais en même temps nous savons bien que chaque eucharistie est la réalité visible, déjà là, de ce banquet céleste auquel nous sommes invités. A vrai dire dans le récit, et nous reconnaissons tous l’extraordinaire pédagogie du Seigneur, il y a deux appels, deux interventions de Dieu.

La première est celle sous-entendue dans les réponses des convives. Vous savez probablement que dans les mentalités juives, les signes de la bénédiction de Dieu sont précisément ceux évoqués là pour ne pas participer au banquet. « J’ai acheté un champ, je suis obligé d’aller le voir » ! Pas si obligé que ça, chaque chose en son temps… Le deuxième dit « j’ai acheté cinq paires de bœuf, et je pars les essayer. » Et le troisième dit « je viens de me marier, et c’est pourquoi je ne peux pas venir. » En fait, ces trois aspects, la terre, c’est-à-dire le signe de la bénédiction de Dieu, les bœufs qui permettent d’avoir une récolte abondante, deuxième signe de la bénédiction de Dieu pour un Juif ; et une descendance (pour avoir une descendance, il faut bien se marier et commencer par le bon bout, on peut dire…) le troisième signe de la bénédiction de Dieu. Donc c’est le premier passage de Dieu, tout ce que nous avons reçu !

Souvent me reviens dans ma prière cette parole de l’Ecriture « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » Nous avons tout reçu et c’est déjà un signe extraordinaire du passage de Dieu dans notre vie. Eucharistie veut dire « action de grâce » : nous rendons grâce à Dieu pour tout ce qu’il a accompli dans notre vie, dans ce premier passage.

Et nous savons bien comment en entrant dans ce mouvement de gratitude, notre vie est vraiment transformée. Parce que c’est le mouvement propre aux enfants de Dieu : Dieu est notre Père et nous comble. Et vous voyez le drame : ce premier passage de Dieu conduit ceux qui ont reçu toutes ces grâces, toutes ces manifestations de l’Amour de Dieu, ils s’appuient sur ces grâces pour ne pas répondre à la deuxième invitation. Je ne sais pas si vous savez, mais dans la culture juive, on est invité deux fois à un repas : il y a deux cartons d’invitation ! ça se passe un peu comme ça chez nous : « Seriez vous libre à telle date pour mon mariage ? Et bien notez-le sur votre agenda… » Et on reçoit un faire-part qui confirme que vous êtes invités pour la noce, l’apéritif, le banquet si vous faites vraiment partis des proches.

Et il y a cette deuxième invitation qui atteint un autre niveau. On a vraiment la perception que ce n’est pas un champ, des bœufs, une fécondité importante, mais que c’est vraiment le Seigneur qui va inviter ses convives au banquet. Le banquet de l ‘Agneau, le repas éternel auquel nous serons invités ! C’est quand même une extraordinaire image du Royaume de Dieu, de la Vie éternelle dans laquelle nous sommes plongés. Un banquet, des noces : on ne va pas s’ennuyer, ça c’est sûr ! Et là, du coup, c’est le drame : la béatitude pour ce convive, n’ira pas jusque-là.

La perception de cette deuxième invitation est un peu l’histoire de notre vie : comment allons nous entrer pleinement dans la béatitude, dans la joie à laquelle le Seigneur nous appelle, sans qu’il y ait en nous d’obstacles, de mauvaises raisons qui font que ça n’aboutit pas. Tout ceux qui sont invités, nous pouvons nous y retrouver : « les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux… dépêche-toi ! » Il y a une espèce d’urgence. On n’est plus dans le temps des tergiversations : prenons le temps de bien réfléchir… Des fois, quand on prend le temps d’organiser la vie de l’Eglise, on a tellement pris le temps de bien réfléchir, que le temps est passé et qu’il est temps de passer à autre chose. C’est un peu le regret que j’ai dans ce deuxième confinement : finalement, on n’a pas vraiment pris le temps de récolter les fruits du premier. Et il faut entrer dans le deuxième et un peu tout recommencer à zéro. On a quand même au moins la grâce de l’expérience…

Il y a dans ces manifestations de la grâce de Dieu, cette espèce d’urgence. Et en même temps, tous ceux qui sont invités, ce sont précisément ceux qui ne sont pas assez riches, d’une certaine manière, pour se satisfaire de leur richesse. Et pouvoir, dans leur pauvreté, accueillir la pauvreté du Christ pour en être enrichi.

C’est peut-être l’occasion pour nous, dans notre vie, de nous laisser interpeller sur ce qu’est vraiment notre joie : je me contente de ce que j’ai, je m’en contente et je me contemple dedans. Dans ce que j’ai, je n’ai pas besoin de plus…  Est-ce que je me laisser inviter au plus profond de moi-même dans ce que je suis pour accueillir de Dieu la plénitude de sa miséricorde ? Et on peut dire qu’il y a incompréhension de cette pauvreté du cœur qui fait que le Royaume de Dieu m’appartient. Les premiers convives étaient peut-être trop riches, trop comblés.  Il se sont appropriés ce qu’ils avaient reçus et se sont contemplés dedans. Plutôt que de contempler le Christ qui nous invite à des joies éternelles qui peuvent commencer dès maintenant.

Amen.