Père Gilles Rousselet
Ap 1, 1-4 et 2, 1-5a ; Ps 1 ; Lc 18, 35-43
Nous pouvons être assez sensibles à cette figure de cet aveugle au moment où Jésus approche de Jéricho. C’est la dernière étape avant Jérusalem. Évidemment, l’acte, les actes que Jésus pose dans ces derniers moments, ces moments ultimes de son pèlerinage, toute sa vie est orientée vers Jérusalem comme un pèlerinage, avec cet aboutissement qui est d’accomplir son passage. Donc tous les actes posés dans chaque étape, mais particulièrement quand il approche du terme, du but, l’heure à laquelle il va manifester la gloire de Dieu, ces actes sont décisifs, comme des clés de compréhension. Et on est assez sensible à ce personnage, car Saint Marc nous dit qu’il s’agit de Bartimée. C’est précisément celui qui a donné son nom à nos soirées ; nous en avons vécu une hier soir. Au-delà des grâces accordées à certains, il y a une grâce accordée à tous qui se réalise justement dans ce passage d’évangile. C’est toute une communauté qui agit au nom du Christ. On a choisi comme évangile le chapitre 14 de Saint Jean où justement Jésus dit qu’on accomplira des œuvres encore plus extraordinaires. Ça n’a rien d’étonnant en fait : on peut réfléchir pourquoi Jésus dit cela. Évidemment, ce sera en mon nom dans l’Esprit que je vous enverrai. Ce sera au moment où je monterai vers mon Père, « car je suis venu pour que vous receviez l’Esprit Saint et que vous puissiez accomplir les mêmes œuvres et même encore plus. » Et donc, c’est toute la communauté paroissiale, en présentiel mais très peu, mais aussi la fraternité Gabriel, qui étaient dans l’action de grâce. Ce passage d’évangile nous donne une clé de compréhension de ce que Jésus va faire. Il y a des témoins qui sont là, un peu de manière anonyme, ce sont les apôtres. Pourquoi est-il important de mentionner ces petits gars ? Parce qu’ils ont mal réagi quand Jésus leur a annoncé la passion : vraiment, ils ne comprennent pas. Soyons clairs : ils sont aveuglés. Ils croient voir en Jésus celui qui va restaurer la royauté d’Israël ; et en arrivant à Jérusalem, enfin ça va arriver. Quand Jésus dit comment ça va se passer, je vais être rejeté de tous ; le Fils de l’Homme va être rejeté de tous, crucifié, va mourir et trois jours après va ressusciter, les apôtres sont complètement aveuglés. Et je crois qu’il nous arrive souvent dans la vie de vivre cette expérience-là, d’être aveuglé en ce qui concerne le sens même des événements et de l’existence. Et il faut une clé, et assez souvent, cette clé a la forme de la croix du Christ. Et là, il y a les apôtres de manière anonyme, on ne sait pas très bien comment ils se situent, l’hésitation, le doute, peut être leurs entrailles sont saisies par une angoisse, une inquiétude qu’on ne sait pas trop définir. Peut-être auraient-ils du mal à le définir eux-mêmes…
Et il y a cet aveugle, Bartimée, le fils de Timée. Il entend la réputation de Jésus. Il ne voit pas, mais il entend, il s’informe de ce qu’il y avait. C’est assez étonnant parce que la foule agit dans l’opposition : une communauté peut aussi faire obstacle pour plein de raisons : ce n’est pas sérieux de faire ça… soirée de guérison, ce n’est pas sérieux, on n’a jamais fait ça, on n’y croit pas trop… D’une part il y a les apôtres qui sont là avec leur état d’esprit, il y a cette foule, il y a cet aveugle qui est là dans cette attitude complètement contraire, rien ne lui résiste. Et il a déjà d’ailleurs un bel acte de foi en appelant Jésus « Fils de David, prends pitié de moi ! » Vous savez que c’est ce qu’on appelle la prière de Jésus qu’on peut méditer approfondir avec ce très beau récit pas très long que je vous conseille « Le récit d’un pèlerin russe ». C’est une merveilleuse prière qui se vit sur la respiration : « Jésus Christ, Fils de David », j’inspire ; « prends pitié de moi pécheur » c’est toute ma vie qui est marquée par ce mouvement. Déjà là, il y a quelque chose qui nous dit quelle est la nature de notre relation avec Dieu, qui révèle pleinement son visage en Jésus « Jésus, Fils de David, prends pitié de moi » Et c’est mon « respir », c’est le sens même de ma vie. Rappelez-vous dans la création et dans cet acte recréateur, Dieu insuffle son haleine de vie dans les narines d’Adam. Et je deviens quelqu’un qui respire : « Jésus Christ, Fils de David, prends pitié de moi pécheur. » C’est le sens même de ma vie, la dynamique. À partir de là, tout est possible.
Et alors, il y a une autre clé : dans la question de Jésus, elle est assez étonnante : Que veux tu que je fasse pour toi ? » Est-ce que vous comprenez que Jésus, par cette question est en train de dire ce qu’il est venu faire ? Vendredi soir (samedi soir en fait – NDLR) j’ai eu une rencontre zoom avec les lycéens du pôle missionnaire et ils m’ont demandé de leur parler de l’eucharistie. Je leur ai dit que le Jeudi Saint, Jésus, en saint Jean, va dire aux disciples, quel est le sens de sa Passion : il leur lave les pieds. Jésus dit à ses apôtres : « Ce que je vais vivre, ma Passion, c’est le grand service. » Évidemment le service du Père, car je vais tous vous réconcilier avec le Père qui n’a jamais cessé de vous aimer et de vous chercher ; je vous ramène dans son cœur. Et le service de vous, car je vous sauve. Et Jésus, en posant cette question à cet aveugle : « Comment puis-je te servir ? » c’est ça que dit « Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? » Quand vous demandez quelque chose ici, pour les questions logistiques : « Qu’est ce que je peux faire pour toi ? » Il y a les deux choses : la personne qui a envie de servir, et nous qui avons notre manière de l’accueillir pour qu’elle puisse servir. Vous voyez que dans ce récit-là, Jésus dit « Tu sais, ce que je vais faire après, c’est exactement ça. Je viens pour te servir. C’est important de penser ça quand nous contemplons Jésus sur la croix. Il est vraiment le serviteur, le serviteur souffrant, celui qui donne sa vie. Qui accomplit le grand service de l’humanité. Et vous voyez comment les conséquences que ça a : c’est-à-dire l’aveugle, on pensait que c’était celui qui était aveugle, mais c’était celui qui voyait tout, le mieux. « Jésus Christ, Fils de David ! « Il le proclame déjà comme messie avant même de l’avoir connu. Alors que les apôtres ont quelques hésitations à le reconnaître messie de cette façon-là.
Et ça a des conséquences énormes : c’est la louange ! Mais alors après, c’est comme une fission atomique, comme un raz de marée : si vous prenez un gros caillou que vous jetez dans l’eau, toutes les ondes vont se répandre, devant, derrière. Et de la même manière, la grâce reçue par cet homme, par le grand service que Jésus accomplit en donnant sa vie sur la croix et en ressuscitant, a des conséquences : « Ta foi t’a sauvé. » C’est ça le fruit : « Ta foi t’a sauvé. »
Et les apôtres sont convertis. Parce qu’en fait, sans être dit directement Jésus leur dit : « Regardez, vous ne voulez pas que je vienne accomplir ma messianité de cette manière-là ? Et bien vous voyez, il y en a un qui a parfaitement compris. »
Et il y a toute cette foule qui est retournée : c’est toute notre communauté qui est retournée, toute l’Église qui est retournée ! Et vous savez quoi ? Comme nous sommes le ferment dans la pâte et la lumière du monde, c’est le monde qui est retourné ; c’est la mission de l’Eglise qui commence par une chose. C’est assez étonnant ce que nous sommes capables de produire : « Jésus Christ, Fils de David, prends pitié de moi. » Quand on se situe dans cette attitude-là, avec Jésus, ça a les mêmes conséquences.
Amen.