Père Gilles Rousselet
7ème jour dans l’octave de Noël – année B, 1Jn 2, 18-21 ; Ps 95 ; Jn 1, 1-18
Pourquoi ne pas accueillir de manière très concrète ces paroles que nous venons de recevoir dans cette messe d’actions de grâce pour l’année. Je suis toujours frappé par l’expression de Jean qui nous appelle ‘mes enfants’. C’est très affectueux mais ça ressemble un peu à l’injonction des parents qui aiment beaucoup leurs enfants et leur disent : c’est la dernière fois que je vous le dis ! Cette expression ‘c’est la dernière heure’ –comme vous l’avez appris, accueillir cette heure a une dimension symbolique très forte- cette heure, elle a déjà commencé, elle est assez vaste, depuis la résurrection du Christ, assis à la droite du Père, jusqu’à la parousie. En même temps si saint Jean emploie cette expression de l’heure, ça veut dire que c’est limité, c’est cadré ; on n’est pas dans le vague du temps, en se disant, demain ce sera toujours possible de changer, de nous convertir, d’accueillir la grâce… On est dans cette heure, précisément, où il faut accueillir la grâce. Il y a aussi cette mention de l’Antéchrist, Jean dit qu’il n’y a qu’un adversaire du Christ… D’une manière concrète, on peut dire que nous sommes dans un environnement où des adversaires du Christ –l’Évangile précise un peu- l’adversaire du Christ, c’est le mensonge. Jésus dit : ‘je suis le chemin, la vérité et la vie’. Être adversaire du Christ, c’est être dans le mensonge. Jean dit qu’il y a aussi beaucoup d’antéchrists… si l’on reçoit ça de manière lucide, Jésus nous dit : ‘Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups’. Une fois, je me suis demandé : qui est l’agneau, qui est le loup ? quelquefois c’est moi ?…quand même j’espère que ce n’est pas le cas ; ça nous amène tout de même à être en vérité, on n’est pas parfait ! C’est un fait, il y a une réalité de cette présence de l’Antéchrist. Je ne sais pas quelle figure on peut lui donner. Dans la première lecture, saint Jean attire notre attention sur la vigilance qui doit être la nôtre. Qu’il n’y ait pas en nous un germe d’antéchrist, un germe de mensonge… un germe de rejet du Christ… Est Il si important ? est-ce qu’ll dit vraiment la vérité ? est-il vraiment notre Seigneur ?
L’autre chose qui est aussi très concrète, c’est l’opposition entre la lumière et les ténèbres. L’Évangile nous dit : ‘Les ténèbres ne l’ont pas arrêté’. Vous vous rappelez que l’expression qui ouvre le livre de la Genèse, ‘Au commencement était le Verbe’ –et c’est ainsi que commence aussi l’Évangile ; vous vous rappelez ce qui se passe, dans la Genèse, Dieu créa la Lumière et Il sépara la lumière des ténèbres. Même les scientifiques disent que l’univers a commencé comme cela, par le jaillissement de la lumière. On comprend à quel point la lumière est à l’origine de tout. La lumière c’est vraiment la vie, c’est ce que dit aussi la Parole de Dieu.’ Les ténèbres ne l’ont pas arrêtée’ dès la Genèse, dès le commencement de l’univers Dieu crée la lumière, la lumière qu’aucune ténèbre ne pourra arrêter. Parfois il y a des moments où ce n’est pas évident, dans notre vie. Quelquefois les ténèbres semblent tomber sur des populations, sur des peuples, sur des périodes de l’histoire, mais aussi des ténèbres, quelque chose de sombre qui peut envahir notre cœur. Mais en nous appuyant sur la Parole de Dieu, nous entendons qu’aucune ‘ténèbre n’a pu envahir la lumière’ ; cela peut donner cette impression-là mais la victoire est du côté du Christ. Alors, comment, si c’est une nouvelle création –au commencement était le verbe, était la lumière- si c’est une re-création ?
Un des Pères de l’Eglise disait que la création était une œuvre extraordinaire, mais la création par la rédemption est une œuvre encore plus extraordinaire, ce n’est pas une œuvre mieux, c’est une œuvre absolue. C’est-à-dire que le Verbe de Dieu qui s’est fait chair et qui a donné sa vie pour nous a réalisé, a accompli une œuvre – Jésus dit bien : ‘Tout est accompli’- qui n’est même pas comparable à celle que nous pouvons constater dans l’univers, qui est déjà extraordinaire, nous sommes bien d’accord ! mais la re-création par la rédemption est une œuvre qui n’a pas sa commune mesure. On ne peut pas relativiser les choses. Il n’y a rien de plus extraordinaire que cette re-création par la rédemption. Comment cela se réalise-t-il ? par le haut, c’est le Créateur, le Verbe éternel qui s’est fait chair. Il faut commencer par lever nos yeux vers le haut ! Pourquoi ?’est dans un mouvement qui s’appelle la ‘kénose’, c’est-à-dire l’abaissement. C’est extraordinaire cet abaissement ! le fait que le Verbe de Dieu a pris chair dans ce petit bébé qui est né et qui ne demande qu’à naître à nouveau dans cette mangeoire de Bethléem, mais aussi dans toute existence humaine, c’est un abaissement qui ne peut rien faire d’autre que d’attirer notre émerveillement. C’est la raison pour laquelle, dans la nuit de Noël, tous les anges du ciel ont proclamé le ‘Gloire à Dieu’ ! Cet abaissement-là, on ne voit rien de plus incroyable… cela va du plus haut au plus petit, au plus bas… Un des biographes de François d’Assise a écrit un livre qui s’appelle : le Très bas [ de Christian Bobin – NDLR]… ce mouvement d’incarnation rédemptrice est un mouvement qui part du haut et qui descend au plus bas ! Il s’est fait le plus petit et le plus pauvre. Il s’est fait chair, le Verbe s’est fait chair. Il y a eu tout un contexte dans l’histoire de l’Église où l’on disait : la chair, ce n’est pas brillant, on a culpabilisé ce qui venait de la chair. Quand on entend que le Verbe s’est fait chair, on peut imaginer, mais soyons très concret, que Dieu a accordé la dignité à notre chair, à notre existence humaine. Il a accordé cette dignité en l’assumant pleinement, hormis le péché. Mais c’est ça le regard que Dieu porte sur notre humanité, c’est un regard qui fait que le Verbe s’est fait chair et qu’il a assumé pleinement tout ce qui fait notre humanité.
Dimanche dernier nous avons célébré la Sainte Famille. Nous pouvons aussi regarder tous les aspects de la vie humaine que le Verbe a totalement assumé, sanctifié, régénéré, recréé, assumé pleinement par son existence. Comment est-ce que s’accomplit cette re-création, cette rédemption, dans un mouvement qui va vers le haut, le Verbe éternel du Père s’est fait le Très bas ; évidemment ça suppose que nous l’accueillons. Voilà le grand mystère de Noël, Noël change quelque chose dans notre vie à partir du moment où nous accueillons le Verbe qui s’est fait chair en nous. C’est cela qui conditionne l’accomplissement plénier de la rédemption à la mesure dont nous l’accueillons. Si je devais me rappeler une parole que le Seigneur m’a offerte cette année, c’est ce que nous rappelle l’Évangile : il nous a ‘donné le pouvoir de devenir Enfant de Dieu’. Nous sommes complètement rétablis dans notre identité d’Enfant de Dieu. Quand le Ciel s’est ouvert au baptême de Jésus, cette Parole : ‘Tu es mon enfant bien-aimé, en toi j’ai mis toute ma joie’- ou ma complaisance, en fonction de la traduction- le Ciel ne s’est jamais refermé et c’est notre histoire. A chaque fois, Dieu dit : ‘Tu es mon enfant bien aimé, en toi j’ai mis toute ma joie !’ mais c’est un pouvoir, qu’est-ce que ça veut dire ? c’est une capacité, il faut l’accueillir et en vivre. C’est ça l’histoire de notre vie chrétienne, ce n’est pas une histoire de perfection, de vertu ; c’est à la mesure où nous accueillons, où nous vivons notre identité renouvelée d’enfant de Dieu.
Pour faire un bilan de cette année, à la lumière de la Parole de Dieu, d’abord le ‘logos’, la Parole –je vous ai partagé la parole qui m’a touché cette année- Quelle est la parole qui vous a touché cette année ? c’est un petit exercice, il reste 5 heures avant minuit, mais demain ça marchera encore, l’important c’est de le faire, car on est dans le contexte d’une heure, d’un temps qui nous est offert. On dit souvent qu’on n’a pas le temps… si, on a toujours le temps dont on dispose. Pour faire ce petit travail très simple (quelle est la parole qui m’a touché cette année), c’est sans prétention, en sachant que la parole, c’est le Verbe de Dieu, ce n’est pas un papier que j’ai tiré et que j’ai mis dans ma poche, non, c’est le Verbe qui s’offre à moi.
La deuxième chose, la Parole de Dieu nous dit qu’Il est la Vie. À quel moment ai-je eu conscience que j’étais plus vivant ? Peut-être que pendant le temps de confinement, je me sens abattu, dans la tristesse, dans la désolation. Y-a-t-il eu un moment, sûrement, où j’ai fait l’expérience que j’étais vivant, d’une Vie, pas une survie, mais de la Vie qui m’est donnée.
Il est aussi la Lumière. Là, cela se situe au niveau de la conscience. À certains moments, on peut se dire : Où va-t-on ? cela m’arrive…À quel moment ai-je fait l’expérience que j’avais reçu une petite lumière. Cela peut être une allumette que je gratte – comme je fais tous les matins pour allumer les cierges dans l’église alors que c’est encore la pénombre- juste une petite flamme toute petite, mais une flamme qui va éclairer ma conscience et qui va m’aider à poser des choix qui peuvent être des choix décisifs.
Avant dernière proposition : il est question de ce témoin ; ici c’est Jean le Baptiste, mais vous, quel est le témoin qui vous a marqué dans votre vie cette année ? quelle personne a été pour vous un témoin, qui a parcouru un bout de chemin avec vous, un petit ‘camino’, une personne qui vous a marquée par sa vie, pas seulement par son enseignement, mais par sa vie.
La dernière chose, vous avez reçu le pouvoir d’être Enfant de Dieu et vous l’êtes vraiment, nous dit saint Jean, nous le sommes vraiment, nous sommes Enfants de Dieu ; qu’est-ce que ça évoque pour moi d’être Enfant de Dieu ? quelle joie, quel apaisement, quelle consolation cela met dans mon cœur ?
Pouvoir nommer cela, et pouvoir rendre grâce au Seigneur pour ce cadeau qu’il m’a fait. En fait, Jésus est venu pour ça, Jésus a enlevé tous les obstacles qui nous empêchent de vivre notre véritable identité d’Enfant de Dieu. Sinon Chrétien, ça ne veut rien dire, nous sommes Fils et Filles très aimés du Père. C’’est ça notre identité. Comment en ai-je conscience ? Amen !