Père Gilles Rousselet
Ac 10, 34a.37-43 – 117 (118), 1.2, 16-17, 22-23 – Col 3, 1-4 – Lc 24, 13-35
Je crois que c’est la première fois depuis que je suis prêtre que le dimanche de Pâques, nous proclamons l’évangile des Pèlerins d’Emmaüs. Il y a d’autres occasions dans l’année qui nous permettent de lire ce récit très important. Je ne sais pas si vous savez, mais le récit des pèlerins est celui qui a permis à ceux qui ont construit pour la première fois le déroulement de la messe de savoir comment faire, parce que c’est précisément le récit des Pèlerins d’Emmaüs qui nous dit non seulement comment la messe est construite, mais pourquoi la messe est efficace. Et aussi pourquoi, malheureusement, ça ne marche pas toujours. J’entends ici ou là : « Ah mon Père, si la messe était toujours comme ça, je viendrais tous les dimanches. » Ouais, mon œil ! Alors évidemment, on peut dire que la manière de célébrer la messe y fait beaucoup. On pourrait même faire de la messe un spectacle ! Mais ça ne produirait jamais de manière aussi efficace ce qui se passe alors que nous venons à la messe.
J’attire votre attention sur les deux disciples dit « d’Emmaüs » : on les appelle ainsi parce qu’ils vont de Jérusalem à Emmaüs. Pourquoi ? Parce qu’ils ont peur, ils sont terrorisés, ils fuient Jérusalem. Ils faisaient partie des disciples de Jésus qui précisément a été arrêté ; d’autres ont failli être arrêtés avec lui, notamment Simon-Pierre qui n’était pas loin quand Jésus a été jugé. Des gens lui ont dit : « Toi aussi, tu es disciple ! » Et trois fois, il a dit non… Il a renié Jésus. D’ailleurs Jésus lui avait dit « Tu dis que tu donnerais ta vie pour moi, mais avant que le coq ne chante, tu m’auras renié trois fois. » « Non, jamais ! » Jésus le connaissait, il connaissait les événements et Pierre a renié. Qui d’entre nous n’aurait pas renié Jésus dans de telles circonstances ? Qui d’entre nous n’aurait pas pris ses jambes à son cou ? Qui d’entre nous peut juger les pèlerins d’Emmaüs d’avoir fui Jérusalem par peur d’être arrêtés ? Mais c’est une chance, parce que, du coup, nous pouvons devenir les pèlerins d’Emmaüs… Vous avez remarqué qu’il y en a un dont on connaît le prénom : Cléophas. L’autre on ne connaît pas son prénom. Moi je suggère qu’il s’appelle aujourd’hui Dominique [catéchumène baptisée au cours de cette messe]. Et ils cheminent tous les deux. Et vous avez remarqué cette parole assez étonnante : Jésus les rejoint, il prend l’initiative. Est-ce que vous avez compris pourquoi ils ne le reconnaissent pas ? L’évangile dit « Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. » Qu’est-ce que cette « crotte » dans les yeux qui empêche Jésus d’être reconnu ? Là, il est ressuscité et évidemment ils l’ont vu mourir deux jours avant ; ils ne devaient pas s’attendre du tout à ce qu’il soit vivant. Et pourtant, c’était bien lui ! Qu’est ce qui les a empêchés de le reconnaître ? Quels sont les événements de notre vie qui nous empêchent de voir les signes d’espérance et de joie que le Seigneur nous donne ? Le désespoir ! Parce qu’ils avaient peur et qu’ils étaient désespérés. Ils pensaient que Jésus allait venir instaurer un pouvoir terrestre. Et voilà que Jésus, ce n’était pas le royaume qu’il était venu instaurer. Il y a bien des gens qui leur ont dit qu’ils l’avaient vu ressuscité. Mais désolé, c’était des femmes ! Et au temps de Jésus, la parole d’une femme, c’était différent, elle ne pesait pas lourd ! Alors quand les femmes, en plus Marie-Madeleine, tellement tourmentée que Jésus avait dû la libérer de sept démons, alors vous pensez bien que sa parole n’était pas très crédible. C’est un fait, les femmes avaient moins de crédibilité aux yeux des hommes qu’elles n’en ont maintenant.
Alors, c’est la raison pour laquelle ils ne pouvaient pas le reconnaître : le désespoir. Mais aussi parce que Jésus va leur dire cette parole très importante « Esprit sans intelligence ». Pourquoi sont-ils des esprits sans intelligence ? À mon avis, c’est parce que, évidemment, ce que Jésus leur avait annoncé, qu’il allait ressusciter, c’était absolument improbable, ce n’était jamais arrivé ! Ce matin, on a eu un passage d’évangile, et Saint Marc termine ainsi : les femmes voient que le tombeau est vide, un homme à l’intérieur leur dit que Jésus est vivant ressuscité, elles partent et vont se taire. C’est comme ça que se termine l’évangile de Marc : elles ne disent rien ! Pourquoi ? Si je vous annonce aujourd’hui que Jésus a vaincu la mort, qu’il est ressuscité, que la mort est vaincue et que quand vous allez mourir, en réalité vous n’allez pas mourir, vous allez traverser la mort comme on traverse une porte pour aller dans la Vie éternelle, franchement, levez la main ceux qui y croient dur comme fer ! Il paraît que 70% des chrétiens ne croient pas en la résurrection. Alors moi je ne suis pas étonné que ces femmes aient eu tellement peur d’aller témoigner de ça ; elles se sont dit qu’on allait les prendre pour des malades. Je vais organiser demain une évangélisation sur la place Saint Marceau : je demande à tous ceux qui ont dit croire dur comme fer à la résurrection, de venir avec moi. On va interpeller les gens dans la rue et témoigner que Jésus est ressuscité. Et comme on va en témoigner, on va en donner des preuves concrètes. Parce que c’est bien beau de dire « Jésus est ressuscité ! » Mais ok, montre-le-moi… Je me rappelle une femme que je suis allé visiter jusqu’à sa mort ; son mari était mort 20 ans auparavant. À chaque fois que je la quittais, elle me disait : «Mon Père, est ce que mon mari est dans la joie ? » Je lui répondais « Mais oui, ça fait 20 ans que je vous dis tous les mois qu’il est ressuscité. » Et elle me disait à chaque fois : « Mais vous savez, mon Père, qu’on n’a jamais vu personne en revenir pour nous le dire ! »
Si vous dites que vous croyez dur comme fer à la résurrection, quelles sont les preuves que vous pouvez donner qui vont être crédibles ? Quelles expériences personnelles avez-vous faites ? Réfléchissez bien. Pourtant, c’est essentiel, absolument essentiel : la résurrection ne peut pas être un discours, c’est une expérience. Et je comprends que ces femmes n’aient pas eu la force de le dire. Je comprends que les pèlerins d’Emmaüs aient eu tellement de mal à l’entendre. Je comprends que Jésus leur ait dit « Esprit sans intelligence ». Il faut que quelqu’un nous fasse entrer dans ce mystère. La mort est vaincue !
Excusez-moi, je vais vous dire autre chose : est ce qu’il vous est déjà arrivé d’aller dans un cinéma et d’arriver en retard ? Pas comme quand on arrive en retard à la messe ; parce que quand on arrive en retard à la messe, on se dit que ce n’est pas important ; j’ai manqué le chant d’entrée, le kyrie, le gloria, la première lecture, la deuxième lecture… et je n’ai rien compris ! Mais ça ne change rien, ça ne changera pas ma vie… Et je vais recevoir l’eucharistie, et je n’ai rien compris ! Est-ce que si vous arrivez en retard à un film, vous allez comprendre quelque chose ? Non, bien sûr que non. C’est pour cela qu’il ne faut pas arriver en retard : il y a tellement d’éléments constitutifs de l’eucharistie qui nous aident à entrer pleinement, à ouvrir notre intelligence, notre cœur, pour que notre cœur soit prêt, comme on retourne de la terre pour y semer la graine ; et que la graine porte du fruit, et du fruit en abondance ! Sinon, nous risquons de rester des « esprits sans intelligence ». Et d’être à la portée d’un somptueux repas, d’un somptueux festin, d’un somptueux royaume de justice, de paix et d’amour. Et de passer notre vie en passant à côté, comme des pauvres !
Par exemple, nous avons vécu 4 jours exceptionnels : le dimanche des Rameaux, c’était la porte d’entrée de cette semaine magnifique, extraordinaire, qui a changé le cours de l’histoire de l’humanité. La révolution copernicienne à côté ce n’est rien, une bagatelle ! Ce qui s’est passé dans les 3 jours saints a changé radicalement l’histoire de l’humanité, a changé votre vie, la vie de vos enfants et des personnes que vous aimez le plus au monde. Savez-vous ce qui s’est passé ? Parce que ce n’est pas un événement qui s’est passé il y a 2000 ans. Il a été inauguré il y a 2000 ans, mais en réalité, nous l’avons vécu cette année. Nous avons vécu ce que Jésus a fait pour nous, pour les personnes que nous aimons le plus au monde. Dominique, ça fait une éternité que Dieu t’aime, qu’il te désire ; il te désire tellement qu’il te donne sa vie. Ça veut dire que quand tu vas mourir, Dominique, ça ne sera pas la fin de la vie ; tu vas ressusciter, tu seras vivante pour toujours dans la plénitude de ton être. Tu vas ressusciter avec ton corps spirituel, il n’y aura plus aucune limite, la paralysie n’existera plus, ce sera la plénitude de ton être. Et pourquoi ? Pas parce que tu es une personne parfaite, mais parce que Dieu t’aime parfaitement, infiniment, sans aucune limite. Et c’est comme ça pour chacun de nous.
Ce que nous avons vécu dans le Triduum pascal, c’est ça : Jésus est venu accomplir ça ! Si vous saviez que quelqu’un veut donner aux personnes que vous aimez les trésors de son royaume, ne feriez-vous pas des pieds et des mains pour que ces personnes le rencontrent et puissent recevoir ces grâces ? Oui ! Alors, pourquoi ne le faisons-nous pas, pourquoi ? C’est la question…
Et vous savez pourquoi ? Jésus le dit dans l’évangile, c’est une raison très simple. Vous avez remarqué, quand ils arrivent à l’auberge d’Emmaüs, que fait Jésus ? Il fait semblant de continuer son chemin. Et pourquoi ? Pour qu’on lui demande de rester. Dieu nous aime, il nous a créés libres et nous sommes tout à fait en capacité de lui dire non, de l’ignorer, de rester toute notre vie à côté de cette source intarissable de joie et de bonheur ; c’est la réalité. Des fois on dit : « Je n’ai pas la foi ». Peut-être que si souvent Jésus est venu avec moi à l’auberge d’Emmaüs et il a fait semblant de continuer son chemin. Et je ne l’ai pas retenu. « Reste avec nous » et une bonne excuse « le soir tombe ». Et tout est possible. Alors, il rompt le pain et leur vie a changé. Tellement qu’ils retournent à Jérusalem, tellement dans l’exultation et dans la joie ! Ils ont enfin compris, enfin !
C’est vraiment ce que je vous souhaite. Et à chaque fois que vous venez à la messe, c’est exactement ce qui se passe.
Amen !